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Mais cela se peut également si on prend les deux prémisses affirmatives.
Car rien n'empêche que B s'applique à C tout entier et que pour C tout entier A ne soit pas le cas, et que A soit le cas pour tel B : ainsi, animal est le cas pour tout cygne, noir[5] n'est le cas pour aucun cygne ; et noir est le cas pour tel animal. De sorte que lorsqu'on pose que A et B sont le cas pour tout C, BC est entièrement vraie, AC entièrement fausse, et la conclusion est vraie.
Même chose lorsqu'on pose que AC est vraie ; car la démonstration se fera avec les mêmes termes.
Et encore lorsque l'une des prémisses est entièrement vraie [10] et l'autre fausse dans une certaine mesure.
Car il est possible que B soit le cas pour tout C, A pour tel C, et A pour tel B ; ainsi, bipède est le cas pour tout homme, beau n'est pas le cas pour tous, et beau est le cas pour tel bipède. Lorsque donc on pose que A et B sont le cas pour C tout entier, BC est entièrement vraie, [15] AC est fausse dans une certaine mesure, et la conclusion est vraie.
Même chose en prenant AC vraie et BC fausse dans une certaine mesure : en effet, on en aura la démonstration en combinant autrement les mêmes termes.
Et aussi lorsque l'une est négative et l'autre affirmative : puisqu'il est possible que B soit le cas pour C tout entier et A pour [20] tel C, et que, alors qu'ils sont dans cette disposition, A ne soit pas le cas pour tout B ; alors, lorsqu'on pose que B est le cas pour tout C et A pour aucun, l'une des prémisses est fausse dans une certaine mesure, l'autre est entièrement vraie, et de même la conclusion. Et encore, puisqu'il a été établi que, A n'étant le cas pour aucun C et B étant le cas pour tel C, il est possible que A ne soit pas le cas pour [25] tel B, on voit que, AC étant entièrement vraie et BC partiellement fausse, il est possible que la conclusion soit vraie. Si donc on pose que A n'est le cas pour aucun C, et B pour tout C, AC est entièrement vraie et BC partiellement fausse.
On voit clairement aussi que dans les cas de déductions particulières il y aura, dans toutes les dispositions, du vrai résultant de prémisses fausses. Il faut prendre les mêmes termes que lorsque les prémisses sont universelles, en posant comme affirmatifs les termes qui sont contenus dans les termes affirmatifs <des universelles>, et comme négatifs ceux qui sont inclus dans les négatifs. Car cela ne fait aucune différence pour la mise en évidence des termes, si ce n'est le cas pour aucun, de poser que c'est le cas pour tous et, lorsque c'est le cas pour tel, de poser que cela est le cas universellement ; [35] et de même dans le cas de propositions négatives.
Conclusion sur la déduction du vrai à partir de prémisses fausses
On voit donc que, lorsque la conclusion est fausse, les éléments dont est constitué l'argument doivent nécessairement être faux, soit tous, soit quelques-uns d'entre eux ; mais que lorsque la conclusion est vraie, il n'est pas nécessaire qu'ils soient vrais, ni l'un d'entre eux ni tous ; au contraire, il est possible que, alors qu'aucun des éléments de la déduction n'est vrai, la conclusion [40] soit tout aussi vraie ; mais ce n'est pas nécessaire.
La raison en est [57b] que lorsque deux faits sont l'un par rapport à l'autre dans une relation telle que, si l'un des deux est, il faut nécessairement que l'autre soit, alors, si celui-ci n'est pas, celui-là ne sera pas non plus ; cependant que, s'il est, il n'est pas nécessaire que l'autre soit. Mais il est impossible qu'un même fait soit nécessairement si un même fait est et s'il n'est pas ; je veux dire par exemple que, [5] A étant blanc, B soit nécessairement grand, et, que, A n'étant pas blanc, B soit nécessairement grand. Si en effet, ceci étant blanc, à savoir A, cela, à savoir B, doit nécessairement être grand, et si, B étant grand, C doit nécessairement être non-blanc, alors il est nécessaire, si A est blanc, que C ne soit pas blanc. Et lorsque, de deux faits, si l'un des deux est, [10] il est nécessaire que l'autre soit, alors, si celui-ci n'est pas, il est nécessaire que le premier ne soit pas. Alors, B n'étant pas grand, il n'est pas possible que A soit blanc. Or, si, A n'étant pas blanc, il est nécessaire que B soit grand, il s'ensuit que nécessairement, B n'étant pas grand, le même B doit être grand ; mais c'est impossible. Car si B n'est pas grand, [15] A doit nécessairement ne pas être blanc. Si donc, celui-ci n'étant pas blanc, B doit être grand, il s'ensuit que, si B n'est pas grand, il est grand, selon une relation à trois termes.
Chapitre 5
Définition de la déduction en cercle
Démontrer « en cercle », ou « les uns par les autres », consiste à prendre la conclusion plus l'une des deux prémisses à rebours de la façon dont elle est prédiquée, pour aboutir [20] à conclure l'autre prémisse, celle que l'on avait posée dans l'autre déduction. Par exemple, s'il fallait établir que A est le cas pour tout C et si on l'avait établi au moyen de B, et si cette fois on démontre que A est le cas pour B en posant que A est le cas pour C et C pour B (alors qu'on avait posé, [25] au rebours, que B était le cas pour C). Ou, s'il faut montrer que B est le cas pour C, si on pose A à propos de C – ce qui était la conclusion – et si on pose que B est le cas au sujet de A (auparavant on avait posé, au rebours, que A était le cas au sujet de B).
Il n'y a pas d'autre façon de démontrer des propositions l'une par l'autre. Car si l'on prend un autre moyen terme, ce n'est plus un cercle ; [30] en effet, on n'a rien pris qui fasse partie du même <ensemble de propositions> ; et si on prend quelque chose de celles-ci, il faut nécessairement que ce soit l'une des deux et une seule, car si on prend les deux, on aura la même conclusion ; or il faut une conclusion distincte.
Dans le cas de termes qui ne se convertissent pas, bien sûr, la déduction a lieu en admettant l'autre prémisse sans la démontrer, car il n'est pas possible, au moyen de ces termes, de démontrer que le troisième terme est le cas pour le moyen [35] ou le moyen pour le premier. Mais dans le cas de termes qui se convertissent, il est toujours possible d'établir les propositions les unes par les autres.
Déductions en cercle : première figure
Par exemple si A et B et C se convertissent les uns avec les autres ; admettons alors que AC soit établie par le moyen terme B, et en outre que AB le soit au moyen de la conclusion et de la prémisse BC une fois convertie ; de la même façon [40] BC aussi sera établie au moyen de la conclusion et de la prémisse AB [58a] une fois convertie. Mais il faut démontrer la prémisse CB et la prémisse BA ; car nous les avons simplement admises sans démonstration. Si donc on pose que B est le cas pour tout C et C pour tout A, il y aura une déduction de B au sujet de A. Si [5] maintenant on pose que C est le cas pour tout A et A pour tout B, il est nécessaire que C soit le cas pour tout B. Dans l'une et l'autre de ces déductions, la prémisse CA a été admise sans démonstration (de fait, les deux autres avaient été démontrées). De sorte que si nous démontrons celle-ci, toutes auront été démontrées les unes par les autres. Si [10] donc on pose que C est le cas pour tout B et B pour tout A, et si les deux prémisses sont posées comme démontrées, alors, nécessairement, C aussi doit être le cas pour A.
On voit donc que c'est seulement dans le cas de termes qui se convertissent qu'on peut avoir des démonstrations en cercle et les unes par les autres, alors que dans les autres cas, c'est comme nous l'avons dit précédemment. [15] Et même dans ce cas-là, il se trouve que l'on utilise le démontré lui-même en vue de la démonstration : car on établit C au sujet de B et B au sujet de A en posant que C se dit de A, et on établit C de A au moyen de ces prémisses, de sorte que nous nous servons de la conclusion en vue de la [20] démonstration.
Dans le cas des déductions négatives, la démonstration des unes à partir des autres se fait comme ceci : admettons que B soit le cas pour tout C et A pour aucun des B ; la conclusion est que A n'est le cas pour aucun des C. Si maintenant il faut établir que A n'est le cas pour aucun des B – ce que précédemment on avait posé –, [25] admettons que A n'est le cas pour aucun des C et C pour tout B (car de cette façon la prémisse sera inversée). S'il faut conclure que B est le cas pour C, il n'est plus possible de convertir AB de la même façon (car c'est la même proposition que de dire que A n'est le cas pour aucun B et que B n'est le cas pour aucun A), mais il faut poser que ce pour quoi A est le cas, B est toujours le cas pour lui. [30] Admettons que A n'est le cas pour aucun des C, ce qui était la conclusion, et posons que ce pour quoi A n'est jamais le cas, B est toujours le cas pour lui. Nécessairement, donc, B doit être le cas pour tout C. De sorte que, étant donné ces trois propositions, chacune a été obtenue comme conclusion ; et c'est cela, démontrer en cercle : en posant la conclusion et [35] l'une des deux prémisses sous forme inversée, établir la prémisse restante.
Dans le cas des déductions partielles, il n'est pas possible de démontrer la prémisse universelle au moyen des autres propositions, mais pour la prémisse particulière c'est possible.
Qu'il n'est pas possible de démontrer l'universelle, en tout cas, c'est facile à voir. Car l'universel se démontre au moyen de prémisses universelles ; mais la [40] conclusion n'est pas universelle, or il faut démontrer à partir de la conclusion et de l'autre prémisse. Et plus généralement, il n'y a pas non plus [58b] de déduction en convertissant la prémisse, car il en résulte que les deux prémisses sont particulières.
En revanche, la prémisse particulière peut être établie. Admettons que A a été démontré à propos de tel C au moyen de B. Si donc on pose que B est le cas pour A tout entier et que la conclusion demeure inchangée, B sera le cas [5] pour tel C. Car on a la première figure, avec A comme moyen terme. Et si la déduction est négative, il n'est pas possible d'établir la prémisse universelle, pour la raison qui a déjà été dite ci-dessus ; mais pour la particulière c'est possible, lorsque l'on convertit AB de la même façon que dans le cas des universelles. Par exemple : si A n'est pas le cas [10] pour tel X, alors B doit être le cas pour tel X. Autrement il n'y a pas de déduction, du fait que la prémisse particulière est affirmative.
Chapitre 6
Déductions en cercle : deuxième figure
Dans la deuxième figure, il n'est pas possible d'établir l'affirmative par ce procédé, mais c'est possible pour la négative.
L'affirmative, [15] à coup sûr, ne se démontre pas, du fait que les prémisses ne sont pas toutes deux affirmatives. En effet, la conclusion est négative ; or nous avons vu que l'affirmative se démontre à partir de deux prémisses affirmatives.
Quant à la négative, elle se démontre comme ceci : admettons que A soit le cas pour tout B et pour aucun C : la conclusion est que B n'est le cas [20] pour aucun C. Si donc on pose que B est le cas pour tout A et pour aucun C, nécessairement A ne sera le cas pour aucun C. On a en effet la deuxième figure, avec B comme moyen terme.
Si on prend AB négative et l'autre affirmative, on aura la première figure. Car C sera le cas pour tout A et B pour aucun C, de sorte que [25] B ne sera le cas pour aucun A ; donc A ne sera le cas pour aucun B. En fait, il n'y aura pas de déduction au moyen de la conclusion et d'une seule prémisse ; mais en en introduisant une autre, il y aura déduction.
Si la déduction n'est pas universelle, la prémisse générale ne se démontre pas, pour la même raison que nous avons donnée précédemment ; mais la particulière [30] se démontre, lorsque c'est l'universelle qui est affirmative. Admettons en effet que A est le cas pour tout B, et pour C pas tout entier ; la conclusion est BC. Si donc on pose que B est le cas pour tout A, et pour C pas tout entier, A ne sera pas le cas pour tel C ; le moyen terme est B. Et si c'est l'universelle qui est négative, AC ne se démontre pas en convertissant AB. [35] Car il s'ensuit ou bien que les deux deviennent négatives, ou bien l'une des deux, de sorte qu'il n'y aura pas de déduction. Mais on l'établira d'une façon semblable à celle qui a été dite dans le cas des universelles, si l'on pose que ce pour quoi B parfois n'est pas le cas, A est parfois le cas pour lui.
Chapitre 7
Déductions en cercle : troisième figure
Dans le cas de la troisième figure, lorsque les deux prémisses [40] sont prises universellement, il n'est pas possible de les démontrer les unes par les autres. En effet l'universel se démontre au moyen d'universelles ; or [59a] dans cette figure la conclusion est toujours particulière ; de sorte qu'on voit bien qu'avec cette figure il n'est pas possible de démontrer la prémisse universelle.
Mais lorsque l'une est universelle et l'autre particulière, ce sera parfois possible et parfois non. Lorsque, donc, les prémisses sont prises l'une et l'autre [5] affirmatives et que l'universelle est du côté du petit terme, ce sera possible ; mais lorsqu'elle sera de l'autre côté, ce ne sera pas possible.
Admettons en effet que A est le cas pour tout C et B pour tel C ; la conclusion est AB. Si donc on pose que C est le cas pour tout A, on a montré que C est le cas pour tel B, mais on n'a pas montré que B soit le cas pour tel C. [10] Pourtant il faut nécessairement, si C est le cas pour tel B, que B soit le cas pour tel C. Mais ce n'est pas la même chose de dire : ceci est le cas pour cela, et : cela est le cas pour ceci ; et il faut poser en outre que, si ceci est le cas pour tel cela, l'autre aussi sera la cas pour tel ceci. Mais ayant posé cela, la déduction n'est plus obtenue à partir de la conclusion et de l'autre prémisse.
[15] Si B est le cas pour tout C et A pour tel C, il sera possible de démontrer AC, en posant que C est le cas pour tout B et pour tel A. Car si C est le cas pour tout B et A pour tel B, il faut nécessairement que A soit le cas pour tel C ; le moyen terme est B.
Lorsque l'une est affirmative et l'autre négative et que c'est l'affirmative qui est universelle, [20] l'autre se démontrera. Admettons en effet que B est le cas pour tout C et que A n'est pas le cas pour tel C ; conclusion : A n'est pas le cas pour tel B. Si donc on pose en outre que C est le cas pour tout B, il faut nécessairement que A ne soit pas le cas pour tel C ; le moyen terme est B.
Lorsque c'est la négative qui est universelle, l'autre prémisse ne se démontre pas, [25] si ce n'est, comme dans le cas précédent, à la condition de poser que, ce pour quoi ceci n'est parfois pas le cas, l'autre terme n'est parfois pas le cas pour lui ; par exemple, si A n'est le cas pour aucun C et B pour tel C, la conclusion étant que A n'est pas le cas pour tel des B. Si donc on pose que ce pour quoi B ne sera parfois pas le cas, C doit parfois être le cas pour lui, il faut nécessairement que C soit le cas pour tel des B. [30] Mais il n'y a pas d'autre manière d'établir l'autre prémisse en convertissant la prémisse universelle ; car il n'y aura de déduction d'aucune façon.
Conclusion d'ensemble sur les déductions en cercle
On voit donc que dans la première figure, établir des propositions les unes par les autres se fait au moyen de la première et de la troisième figure. En effet, lorsque la conclusion est affirmative, cela se fait par [35] la première figure et, lorsqu'elle est négative, par la dernière figure. Car on admet que, ce pour quoi l'un des termes n'est jamais le cas, l'autre est toujours le cas pour lui. Dans la figure intermédiaire, si la déduction est universelle, cela se fait par cette même figure et par la première ; et, si elle est particulière, par cette même figure et par la dernière. Et dans la dernière, ces déductions se font toutes par cette même figure. Et on voit aussi [40] que dans la troisième figure et dans la figure intermédiaire les déductions qui ne se font pas par elles-mêmes ou bien ne sont pas conformes au modèle de la démonstration en cercle, ou bien sont imparfaites.
Chapitre 8
Définition du renversement
[59b] Renverser, c'est, en remplaçant la conclusion, produire la déduction, ou bien de ce que le terme extrême n'est pas le cas pour le moyen, ou bien celui-ci pour le dernier terme. En effet, lorsque la conclusion est renversée et que l'une des deux prémisses demeure inchangée, il faut nécessairement que la prémisse [5] restante soit rejetée. Car, si elle demeure, la conclusion demeurera aussi. Mais il y a une différence selon que l'on renverse la conclusion de façon opposée ou de façon contraire, car on n'obtient pas la même déduction en renversant de l'une ou de l'autre façon ; ce point deviendra clair grâce à ce qui suit : je veux dire que est le cas pour tous s'oppose à pas pour tous et pour tel à pour aucun, [10] alors que pour tous est contraire à pour aucun et pour tel à pas pour tel.
Renversement : première figure
Admettons que A est démontré pour C grâce au moyen terme B. Si donc on pose que A n'est le cas pour aucun C et pour tout B, alors B ne sera le cas pour aucun C. Et si A n'est le cas pour aucun C et B pour tout C, alors A ne sera pas le cas pour tout B, [15] et non pas universellement pour aucun. En effet, nous avons vu qu'on ne peut pas démontrer l'universel par la dernière figure.
En général, il n'est pas possible d'attaquer au moyen d'un renversement la prémisse qui est du côté du grand terme. En effet, celle-ci est toujours rejetée au moyen de la troisième figure, car il est nécessaire de prendre les deux prémisses du côté du terme dernier.
[20] Et si la déduction est négative, il en va de même. Admettons qu'il a été établi, grâce à B, que A n'est le cas pour aucun des C. Donc, si l'on pose que A est le cas pour tout C et pour aucun B, B ne sera le cas pour aucun des C. Et si on pose que A et B sont le cas pour tout C, A sera le cas pour tel B (alors qu'on avait posé qu'il n'était le cas pour aucun).
[25] Lorsque l'on renverse la conclusion à l'opposé, les déductions elles aussi seront opposées et non pas universelles, car l'une des deux prémisses se trouvera être particulière, de sorte que la conclusion sera particulière elle aussi.
Admettons en effet que la déduction est affirmative et renversons-la de cette façon. Donc, si A n'est pas le cas pour tout [30] C et est le cas pour tout B, B ne sera pas le cas pour tout C. Et si A n'est pas le cas pour tout C et que B est le cas pour tout C, A ne sera pas le cas pour tout B. Même chose si la déduction est négative. En effet, si A est le cas pour tel C et n'est le cas pour aucun B, B ne sera pas le cas pour tel C (et non pas absolument « pour aucun C »). Et si A est le cas pour tel C [35] et B pour tout C, comme on l'a dit en commençant, A sera le cas pour tel B.
Dans le cas de déductions particulières, lorsque la conclusion est renversée à l'opposé, les deux prémisses sont rejetées ; mais lorsqu'elle est renversée en son contraire, aucune des deux n'est rejetée. Car le résultat n'est plus, [40] comme dans les déductions universelles, que par le renversement on réfute en réduisant la portée de la conclusion, mais il n'est plus du tout possible de [60a] réfuter.
Admettons en effet que A a été établi à propos de tel C. Donc, si l'on pose que A n'est le cas pour aucun C et B pour tel C, A ne sera pas le cas pour tel B. Et si A n'est le cas pour aucun C, et pour tout B, B ne sera le cas pour aucun C. De sorte que les deux sont rejetées.
[5] Mais si on renverse la conclusion en son contraire, aucune des deux ne le sera. Car si A n'est pas le cas pour tel des C, mais est le cas pour tout B, B ne sera pas le cas pour tel des C ; mais on n'aura pas rejeté la prémisse originelle pour autant : car il est possible que la même chose soit le cas pour tel sujet et ne soit pas le cas pour tel autre.
Quant à la prémisse AB universelle, il n'y en aura absolument aucune déduction. Car si A [10] n'est pas le cas pour tel des C et si B est le cas pour tel des C, aucune des deux prémisses n'est universelle. Même chose si la déduction est négative. Car si l'on pose que A est le cas pour tout C, l'une et l'autre prémisse sont rejetées ; mais si on pose qu'il est le cas pour tel C, ni l'une ni l'autre ne sont rejetées ; la démonstration est la même.
Chapitre 9
Renversement : deuxième figure
[15] Dans la deuxième figure, il n'est pas possible de rejeter la prémisse située du côté du grand terme par renversement en son contraire, de quelque façon que l'on fasse le renversement. Car la conclusion se fera toujours dans la troisième figure, et nous avons vu qu'il n'y a pas de déduction universelle dans cette figure.
Quant à l'autre prémisse, nous la rejetterons d'une façon semblable au renversement de la conclusion (par « d'une façon semblable », je veux dire [20] que si <la conclusion> est renversée en son contraire, on rejettera <la prémisse> pour sa contraire, et si on renverse à l'opposé, on rejettera pour l'opposée). Admettons en effet que A est le cas pour tout B, et pour aucun C ; conclusion = BC. Si donc on pose que B est le cas pour tout C et que l'on conserve AB, A sera le cas pour tout C ; car on a la première figure. Et si B est le cas [25] pour tout C et A pour aucun C, A ne sera pas le cas pour tout B : la figure est la dernière. Mais si BC a été renversée à l'opposé, AB sera établie de la même façon, cependant que AC le sera à l'opposé. Car si B est le cas pour tel C et A pour aucun des C, A ne sera pas le cas pour tel des B. Si maintenant B est le cas pour tel des C et A pour tout [30] B, A sera le cas pour tel des C, de sorte que l'on obtient la déduction opposée.
On démontrera de la même façon si les prémisses sont dans la disposition inverse.
Si la déduction est particulière, en renversant la conclusion en son contraire, aucune des deux prémisses n'est rejetée, tout comme elles ne l'étaient pas non plus dans la première figure ; [35] mais, en renversant à l'opposé, elles le seront toutes les deux.
Admettons en effet que A n'est le cas pour aucun B mais est le cas pour tel C ; conclusion = BC. Si donc on pose que B est le cas pour tel C et que l'on conserve AB, on aura une conclusion : que A n'est pas le cas pour tel C ; mais la proposition originelle n'aura pas été rejetée : car il est possible que la même chose soit le cas pour tel sujet et [40] ne soit pas le cas pour tel autre. Si maintenant B est le cas pour tel C et A pour tel C, il n'y aura pas de déduction : car aucune des deux propositions ainsi posées n'est universelle ; [60b] de sorte que AB n'est pas rejetée.
Alors que si l'on renverse à l'opposé, l'une et l'autre sont rejetées. En effet, si B est le cas pour tout C et A pour aucun B, alors A ne sera le cas pour aucun C ; or la prémisse était qu'il était le cas pour tel C. Si maintenant B est le cas pour tout C et A pour tel C, A sera le cas pour tel B. [5] Et la démonstration est la même si c'est l'universelle qui est affirmative.
Chapitre 10
Renversement : troisième figure
Dans le cas de la troisième figure, lorsque la conclusion est renversée en son contraire, aucune des deux prémisses n'est rejetée, selon aucune des déductions ainsi produites ; et lorsqu'elle est renversée à l'opposé, elles le sont toutes les deux, et selon toutes les déductions.
Admettons en effet que l'on a établi que A est le cas pour tel des B, [10] que l'on a pris comme moyen terme C, et que les prémisses sont universelles. Donc, si l'on pose que A n'est pas le cas pour tel des B et que B est le cas pour tout C, cela ne produit pas de déduction pour A et C. Et pas davantage, lorsque A n'est pas le cas pour tel B et que C est le cas pour tout B, il n'y aura de déduction de B et C.
On l'établira [15] de la même façon si les prémisses ne sont pas universelles. Car il arrivera nécessairement ou bien que, par ce renversement, les deux prémisses seront particulières, ou bien que l'universelle se trouvera du côté du petit terme. Or, dans ces dispositions, on a vu qu'il n'y a pas de déduction, ni dans la première figure, ni dans la figure intermédiaire.
Si on renverse les conclusions à l'opposé, l'une et l'autre prémisse sont rejetées. [20] En effet, si A n'est le cas pour aucun B et B pour tout C, A ne sera le cas pour aucun C. Si maintenant A n'est le cas pour aucun B mais est le cas pour tout C, B ne sera le cas pour aucun C. Et si l'une des deux prémisses n'est pas universelle, il en va de même. En effet, si A n'est le cas pour aucun B, et B est le cas pour tel des C, A ne sera pas le cas pour tel des C. Et si A n'est le cas [25] pour aucun des B, et est le cas pour tout C, B ne sera le cas pour aucun C.
Même chose si la déduction est négative. Admettons en effet qu'il a été démontré que A n'est pas le cas pour tel B, et posons que BC est affirmative et AC négative (car c'est ainsi, nous l'avons vu, que la déduction est obtenue). Lorsque donc on pose le contraire de la conclusion, il n'y aura pas [30] de déduction. Car nous avons vu que si A est le cas pour tel B et B pour tout C, il n'y a pas de déduction de A et C. De même si A est le cas pour tel des B, mais pour aucun C, nous avons vu qu'il n'y a pas de déduction de B et C ; si bien que les prémisses ne sont pas rejetées.
Mais lorsqu'on renverse à l'opposé, elles sont rejetées. Car si A est le cas pour tout B et B pour C, [35] A sera le cas pour tout C ; mais on avait posé qu'il n'était le cas pour aucun. Si maintenant A est le cas pour tout B et pour aucun C, B ne sera le cas pour aucun C : mais on avait posé qu'il est le cas pour tout C.
On démontre de la même façon lorsque les prémisses ne sont pas universelles ; car il en résulte que AC est universelle et négative, et que l'autre prémisse est particulière et affirmative. Si donc A est le cas pour tout [40] B, et B pour tel C, il s'ensuit que A est le cas pour tel C ; mais on avait posé qu'il n'était le cas pour aucun. Si maintenant A est le cas pour tout B et pour aucun C, [61a] B ne sera le cas pour aucun C ; mais on a posé qu'il était le cas pour tel C. Mais si A est le cas pour tel B et B pour tel C, il n'y a pas de déduction. Et de même si A est le cas pour tel B et pour aucun C – de cette façon non plus. De sorte que dans l'autre disposition les prémisses sont rejetées, alors que dans celle-ci elles ne le sont pas.
Récapitulation des résultats sur le renversement
[5] On voit donc, grâce à ce qui a été dit, de quelle façon on obtient une déduction en renversant la conclusion dans chacune des figures ; on voit aussi quand cette déduction est le contraire de la prémisse et quand elle en est l'opposé ; et que dans la première figure ces déductions se font au moyen de la première figure et de la dernière, et qu'à chaque fois la prémisse qui est du côté du [10] petit terme est rejetée grâce au moyen terme, alors que celle qui est du côté du grand terme est rejetée grâce au terme dernier.
Dans la deuxième figure, le rejet d'une prémisse est obtenu au moyen de la première figure et de la dernière ; chaque fois la prémisse qui est du côté du petit terme est rejetée par la première figure, et celle qui est du côté du grand terme au moyen de la dernière figure.
Et dans la troisième, cela se fait au moyen de la première et de la figure intermédiaire, et chaque fois la prémisse [15] située du côté du grand terme est rejetée au moyen de la première figure alors que celle qui est du côté du petit terme l'est au moyen de la figure intermédiaire.
Ce qu'est, donc, le renversement, et comment on obtient une déduction, et laquelle, dans chacune des figures, c'est clair.
Chapitre 11
Définition de la réduction à l'impossible
On établit une déduction par l'impossible lorsque l'on pose <une prémisse qui contredit> [20] la conclusion et que l'on introduit une autre prémisse.
Cela se produit dans toutes les figures ; car cette procédure est semblable au renversement, avec cette différence que là, on renverse après que la déduction a eu lieu et en posant les deux prémisses ; et on réduit à l'impossible non pas en se mettant préalablement d'accord [25] sur l'opposé, mais parce qu'il est manifeste que c'est vrai. Mais les termes sont disposés de façon semblable dans l'une et l'autre procédure, et la façon de prendre les prémisses est la même dans l'une et dans l'autre.
Par exemple si, alors que A est le cas pour tout B (moyen terme C), on suppose que A, soit n'est pas le cas pour tout B, soit n'est le cas pour aucun B, et qu'il est le cas pour tout C (ce qui, nous l'avons vu, est vrai), alors C doit nécessairement soit n'être [30] le cas pour aucun B, soit ne pas être le cas pour tout B. Or ceci est impossible, de sorte que la supposition est fausse. Donc ce qui est vrai, c'est l'opposé. Même chose pour les autres figures, car toutes les configurations qui permettent le renversement permettent aussi la déduction par l'impossible.
Réduction à l'impossible : première figure
Toutes les autres conclusions proposées se démontrent par [35] l'impossible dans toutes les figures, mais l'universelle affirmative se démontre dans la figure intermédiaire et dans la troisième et ne se démontre pas dans la première.
Supposons en effet que A n'est pas le cas pour tout B, ou n'est le cas pour aucun B, et introduisons une autre prémisse, peu importe de quel côté : soit que C est le cas pour tout A, soit que B est le cas pour [40] tout D (car c'est ainsi qu'on obtient la première figure). Si donc on suppose que A n'est pas le cas pour tout B, il n'en résulte pas de déduction, [61b] quel que soit le côté où l'on a posé la prémisse. Et si <on suppose que A n'est le cas> pour aucun B, alors, lorsqu'on introduira la prémisse BD, il y aura bien une déduction du faux, mais elle n'établit pas la conclusion proposée. Car si A n'est le cas pour aucun B et B pour tout D, alors A n'est le cas pour aucun D ; [5] cela, admettons-le, est impossible ; donc il est faux que A ne soit le cas pour aucun B. Mais ce n'est pas parce que — n'est le cas pour aucun — est faux que — est le cas pour tout — est vrai. Et si on introduit la prémisse CA, il n'y a pas de déduction, pas même lorsque l'on suppose que A n'est pas le cas pour tout B. On voit ainsi que — est le cas pour tout — ne se démontre pas par l'impossible dans la [10] première figure.
Mais que c'est le cas pour tel —, ou pour aucun —, ou pas pour tout —, cela se démontre.
Supposons en effet que A n'est le cas pour aucun B, et posons que B est le cas pour tout C, ou pour tel C. Donc, nécessairement, A doit n'être le cas pour aucun C, ou pas pour tout C. Or cela est impossible (admettons en effet qu'il est vrai et manifeste que A est le cas pour tout C), [15] de sorte que si cela est faux, A doit nécessairement être le cas pour tel B. Mais si on prend l'autre prémisse du côté de A, il n'y aura pas de déduction ; il n'y en aura pas non plus lorsque l'on suppose le contraire de la conclusion, par exemple que cela n'est pas le cas pour tel —. On voit donc qu'il faut supposer l'opposé.
Supposons maintenant que A est le cas pour tel B, et [20] posons que C est le cas pour tout A. C doit donc nécessairement être le cas pour tel des B. Or cela est, admettons-le, impossible, de sorte que ce qui a été supposé est faux. S'il en est ainsi, il est vrai que ce n'est le cas pour aucun. Même chose si l'on a posé CA négative. Mais si on a pris la prémisse du côté de B, il n'y aura pas de déduction.
Si on suppose le contraire, [25] il y aura bien une déduction et une impossibilité, mais elle n'établit pas la conclusion proposée. Supposons en effet que A est le cas pour tout B, et posons que C est le cas pour tout A. Donc C doit nécessairement être le cas pour tout B. Or ceci est impossible, de sorte qu'il est faux que A soit le cas pour tout B. Mais qu'il ne soit pas le cas pour tout B, cela ne suffit pas pour que nécessairement [30] il ne soit le cas pour aucun.
Même chose si l'on prend la seconde prémisse du côté de B ; en effet, il y aura une déduction et une impossibilité, mais la supposition ne sera pas rejetée. De sorte que ce qu'il faut supposer, c'est l'opposé.
Afin d'établir que A n'est pas le cas pour tout B, il faut supposer qu'il est le cas pour tout B. En effet, si A est le cas pour tout B [35] et C pour tout A, alors C est le cas pour tout B ; de sorte que si ceci est impossible, la supposition initiale est fausse. Même chose si on a pris la seconde prémisse du côté de B.
Si CA est négative, il en va de même, car de cette façon aussi on obtient une déduction. Lorsque la négative est du côté de B, on ne démontre rien. Lorsque l'on suppose que <A> est le cas non pour tout <B>, mais pour [40] tel <B>, on ne démontre pas que ce n'est pas le cas pour tout —, mais que ce n'est le cas pour aucun. Car si A est le cas pour tel B et C pour tout A, [62a] C sera le cas pour tel B. Si cela, donc, est impossible, il sera faux que A soit le cas pour tel B, de sorte qu'il sera vrai qu'il n'est le cas pour aucun. Or, ayant démontré cela, on va jusqu'à rejeter le vrai : en effet, on a dit que A était le cas pour tel B et n'était pas le cas pour tel autre. De plus, la supposition ne produit pas d'impossibilité. [5] En effet, cela doit être faux, puisqu'il est impossible de déduire le faux de prémisses vraies – mais en réalité c'est vrai : car A est le cas pour tel des B. De sorte qu'il ne faut pas supposer que cela est le cas « pour tel <B> », mais « pour tous ».
Même chose si nous démontrons que A n'est pas le cas pour tel B. Étant donné que cela revient au même que de ne pas être le cas pour tel — et de [10]ne pas être le cas pour tout —, la démonstration est la même pour les deux.
On voit donc que dans toutes ces déductions, ce n'est pas le contraire qu'il faut supposer, mais l'opposé. Car c'est ainsi que <la déduction> sera nécessaire et que la thèse qu'on soutient sera légitime. Car si, pour tout <sujet>, l'affirmation ou la négation est vraie, alors, une fois démontré que ce n'est pas la négation, [15] il est nécessaire que ce soit l'affirmation qui est vraie. Inversement, si on ne pose pas que l'affirmation est vraie, il est légitime de soutenir que c'est la négation. Alors que selon l'opposition des contraires, il n'est pas admissible de prendre position, ni dans un sens ni dans l'autre ; car il n'est pas nécessaire, s'il est faux que ce ne soit le cas pour aucun X, qu'il soit vrai que c'est le cas pour tout X ; et il n'est pas non plus légitime, si l'autre est faux, de soutenir que celui-là soit vrai.
Chapitre 12
Réduction à l'impossible : deuxième figure
[20] On voit donc que, dans la première figure, toutes les autres conclusions proposées se démontrent par l'impossible, mais que l'universelle affirmative ne se démontre pas ; alors que dans la figure intermédiaire et dans la dernière elle se démontre elle aussi.
En effet, étant admis que A n'est pas le cas pour tout B, posons que A est le cas pour tout C ; [25] donc, si A n'est pas le cas pour tout B et est le cas pour tout C, C ne sera pas le cas pour tout B. Or cela est impossible – admettons en effet qu'il est manifeste que C est le cas pour tout B, de sorte que ce qui a été supposé est faux. Donc il est vrai qu'il est le cas pour tout B.
Mais si on suppose le contraire, il y aura bien une déduction et <un résultat> impossible, mais on ne démontrera pas la conclusion [30] proposée. Car si A n'est le cas pour aucun B et pour tout C, C n'est le cas pour aucun B. Or c'est impossible, de sorte qu'il est faux que A ne soit le cas pour aucun B. Mais ce n'est pas parce que ceci est faux, que A est le cas pour tout B sera vraie.
<Afin d'établir> que A est le cas pour tel B, supposons que A n'est le cas pour aucun B, et posons qu'il soit le cas pour tout C. C doit donc nécessairement n'être le cas pour [35] aucun B. De sorte que, si ceci est impossible, A doit nécessairement être le cas pour tel B. Si on suppose qu'il n'est pas le cas pour tel B, on aura la même situation que dans la première figure.
Supposons maintenant que A est le cas pour tel des B, et posons qu'il n'est le cas pour aucun des C. C doit donc nécessairement ne pas être le cas pour tel B. Mais on a dit qu'il était le cas pour tout B, de sorte que [40] la supposition qui a été faite est fausse ; donc A n'est le cas pour aucun B.
<Afin d'établir> que A n'est pas le cas pour tout B, supposons qu'il est le cas pour tout B, et pour [62b] aucun C. Il est donc nécessaire que C ne soit le cas pour aucun B. Or cela est impossible, de sorte qu'il est vrai qu'il n'est pas le cas pour tout B. On voit donc qu'au moyen de la figure intermédiaire on a toutes les déductions.
Chapitre 13
Réduction à l'impossible : troisième figure
[5] De même au moyen de la dernière figure. Posons en effet que A n'est pas le cas pour tel B, et que C est le cas pour tout B. Donc A n'est pas le cas pour tel C. Si donc cela est impossible, il est faux qu'il ne soit pas le cas pour tel B, de sorte qu'il est vrai qu'il est le cas pour tout B.
Mais si l'on suppose qu'il n'est le cas pour aucun B, on aura bien une déduction et un <résultat> impossible, mais on ne [10] démontrera pas la conclusion proposée. Car si l'on suppose le contraire, on aura la même situation que dans les cas précédents. Mais afin d'établir « — est le cas pour tel — », c'est cela qu'il faut prendre comme hypothèse initiale. En effet, si A n'est le cas pour aucun B alors que C <est le cas> pour tel B, A ne sera pas le cas pour tout C. Si donc ceci est faux, il est vrai que A est le cas pour tel B.
<Afin d'établir> que A n'est le cas pour aucun B, [15] supposons qu'il est le cas pour tel B, et posons aussi que C est le cas pour tout B. Donc A doit nécessairement être le cas pour tel C. Mais on a admis qu'il n'était le cas pour aucun ; de sorte qu'il est faux que A soit le cas pour tel B.
Si on suppose que A est le cas pour tout B, on ne démontrera pas la conclusion proposée ; mais c'est en vue de — n'est pas le cas pour tout —[20] qu'il faut prendre cela comme supposition initiale. En effet, si A est le cas pour tout B et C pour tout B, A est le cas pour tel C. Or on a admis que ce n'est pas le cas, de sorte qu'il est faux que A soit le cas pour tout B. S'il en est ainsi, il est vrai qu'il n'est pas le cas pour tout B. Mais si l'on suppose qu'il est le cas pour tel B, on aura la même situation que dans les cas précédents.
Conclusion d'ensemble sur les réductions à l'impossible
[25] On voit donc que dans toutes les déductions au moyen de l'impossible, il faut supposer l'opposé. Et il est clair aussi que dans la figure intermédiaire on établit d'une certaine façon l'affirmative, et dans la dernière l'universelle.
Chapitre 14
Réduction à l'impossible et déduction directe
La déduction par réduction à l'impossible diffère de la déduction qui établit directement [30] par le fait de poser ce que l'on entend rejeter et de le ramener à quelque chose qui a été reconnu d'un commun accord comme faux, alors que la démonstration directe prend pour point de départ des thèses sur lesquelles on s'est accordé. L'une et l'autre, certes, prennent deux prémisses sur la base d'un accord ; mais pour l'une ce sont les prémisses à partir desquelles se fait la déduction, alors que l'autre pose une prémisse qui est l'une de celles-là, et une autre qui est la contradictoire de la conclusion. [35] Et dans l'une il n'est pas nécessaire que la conclusion soit connue, ni de présumer que quelque chose est ou n'est pas le cas ; alors que dans l'autre il est nécessaire de présumer que quelque chose n'est pas le cas. Par ailleurs cela ne fait aucune différence que la conclusion soit une affirmation ou une négation ; mais les choses se passent de la même façon dans les deux cas.
Toute conclusion peut être atteinte par l'une et l'autre voie
Toute conclusion que l'on atteint par voie directe se démontrera aussi par l'impossible, [40] et ce qui se démontre par l'impossible se démontrera par voie directe, au moyen des mêmes termes.
En effet, lorsque la déduction [63a] a lieu dans la première figure, le vrai sera dans la figure moyenne ou dans la dernière : la négation dans la figure intermédiaire et l'affirmative dans la dernière. Lorsque la déduction a lieu dans la figure intermédiaire, le vrai sera dans la première figure pour toutes les conclusions [5] proposées. Lorsque la déduction a lieu dans la dernière figure, le vrai sera dans la première et dans la figure intermédiaire : les conclusions affirmatives dans la première et les négatives dans l'intermédiaire.
Admettons en effet qu'il a été établi que A n'est le cas pour aucun B, ou pas pour tout B, au moyen de la première figure. Donc la supposition initiale était que A est le cas pour tel B, [10] et on a admis que C est le cas pour tout A et pour aucun B (car c'est de cette façon que l'on obtenait une déduction et un <résultat> impossible). Or cela, c'est la figure intermédiaire : si C est le cas pour tout A et pour aucun B. Et on voit bien, à partir de là, que A n'est le cas pour aucun B.
Même chose s'il a été établi qu'il n'est pas le cas pour tout B. [15] La supposition initiale est qu'il est le cas pour tous, et on a admis que C est le cas pour tout A et n'est pas le cas pour tout B. Et si l'on prend CA négative, il en va de même ; car de cette façon aussi on a la seconde figure.
Admettons maintenant qu'il a été établi que A est le cas pour tel B. La supposition initiale est qu'il n'est le cas pour aucun, et on a admis [20] que B est le cas pour tout C et que A est le cas soit pour tout C, soit pour tel C (car c'est de cette façon qu'on obtiendra l'impossibilité). Or cela, c'est la dernière figure, si A et B sont le cas pour tout C. Et à partir de là, on voit que nécessairement A doit être le cas pour tel B. Même chose si l'on pose que B ou A sont le cas pour tel C.
[25] Dans la figure intermédiaire, maintenant, admettons qu'il a été établi que A est le cas pour tout B. Donc la supposition initiale était que A n'est pas le cas pour tout B, et on a admis que A est le cas pour tout C et C pour tout B (car c'est de cette façon que se produira l'impossibilité). Or cela, c'est la première figure : A est le cas pour tout C et C pour tout B.
Même chose [30] s'il a été établi qu'il est le cas pour tel B : car la supposition initiale était qu'il n'est le cas pour aucun B, et on a admis que A est le cas pour tout C et C pour tel B.
Si la déduction est négative, la supposition initiale est que A est le cas pour tel B, et on a admis que A n'est le cas pour aucun C et C est le cas pour tout B, de sorte qu'on obtient la première [35] figure.
Et si la déduction n'est pas universelle et qu'on a établi que A n'est pas le cas pour tel B, il en va de même. La supposition initiale est que A est le cas pour tout B, et on admettait que A n'est le cas pour aucun C et C <est le cas> pour tel B : de cette façon, en effet, on a la première figure.
[40] Dans la troisième figure, maintenant, admettons qu'il a été établi que A est le cas pour tout B. Donc, la supposition initiale était que A n'est pas le cas pour [63b] tout B, et on a admis que C est le cas pour tout B, et A pour tout C (c'est de cette façon, en effet, qu'on obtiendra l'impossibilité) ; or cela, c'est la première figure.
De même si la démonstration porte sur tel B. La supposition initiale était que A n'est le cas pour aucun B, et on a admis que [5] C est le cas pour tel B et A pour tout C. Si la déduction est négative, la supposition initiale est que A est le cas pour tel B, et on a admis que C n'est le cas pour aucun A, et est le cas pour tout B. Or cela, c'est la figure intermédiaire.
Même chose si la démonstration n'est pas universelle. La supposition initiale sera que A est le cas pour tout B, [10] et on aura admis que C n'est le cas pour aucun A et est le cas pour tel B : or cela, c'est la figure intermédiaire.
On voit donc qu'il est possible, au moyen des mêmes termes, d'établir directement toutes les conclusions proposées. De la même façon, lorsque les déductions sont directes, il y aura également moyen de les ramener à [15] l'impossible dans les termes qui ont été posés <pour la démonstration directe> lorsqu'on prend la prémisse opposée à la conclusion. En effet, on aura alors les mêmes déductions que celles qu'on a obtenues en pratiquant le renversement, de sorte que nous avons aussi, immédiatement, les figures au moyen desquelles se fait chacune de ces déductions.
Il est donc clair que toute conclusion proposée se démontre de deux façons, [20] par l'impossible et directement, et qu'il n'est pas possible de séparer l'une de ces procédures de l'autre.
Chapitre 15
La déduction à partir de prémisses opposées
Dans quelles figures il est possible de déduire à partir de prémisses opposées et dans lesquelles cela ne l'est pas, on le verra clairement à partir de ce qui suit. Je veux dire que, verbalement, les prémisses opposées sont au nombre de quatre : [25] ainsi, pour tout — s'oppose à pour aucun —, et pour tout — à pas pour tout — ; et pour tel — à pour aucun —, et pour tel — à pas pour tel — ; mais en réalité il y en a trois, car pour tel — ne s'oppose à pas pour tel — que verbalement. Parmi celles-ci, les universelles sont contraires : est le cas pour tout — est le contraire de pour aucun —, par exemple « toute science est moralement bonne » est le contraire de [30] « aucune science n'est moralement bonne » ; les autres sont opposées.
Première figure
Dans la première figure, donc, il n'y a pas de déduction à partir de prémisses opposées – ni déduction affirmative ni déduction négative. Pas d'affirmative, parce qu'il faut que les deux prémisses soient affirmatives, alors que les propositions opposées sont l'affirmation et [35] la négation ; pas de déduction négative, parce que les propositions opposées affirment et nient le même fait à propos du même objet, alors que le moyen terme, dans la première figure, ne se dit pas des deux autres, mais quelque chose d'autre est nié de lui, et lui-même est appliqué à un autre terme. Or ces prémisses ne sont pas opposées.
Deuxième figure
[40] Dans la figure intermédiaire, il est possible d'obtenir une déduction aussi bien à partir des opposées qu'à partir des contraires. En effet, posons [64a] en A le bien, et science en B et C. Alors, si on a posé comme prémisses que toute science est un bien et qu'aucune ne l'est, A est le cas pour tout B et pour aucun C, de sorte que B n'est le cas pour aucun C. Donc aucune science n'est science. Même chose si, en posant que toute [5] science est moralement bonne, on pose que la médecine n'est pas moralement bonne. Car B sera le cas pour tout A et pour aucun C, de sorte que telle science ne sera pas une science. Et si A est le cas pour tout C et pour aucun B, avec B = science, C = médecine et A = conjecture : c'est-à-dire que tout en posant qu'aucune science n'est conjecture, on a posé [10] que telle science est conjecture. Cette configuration diffère de celle de tout à l'heure du fait qu'on a opéré une conversion sur les termes : tout à l'heure l'affirmative était du côté de B, maintenant elle est du côté de C.
Et lorsque la seconde prémisse n'est pas universelle, il en va de même. En effet, le moyen terme est toujours ce qui est dit négativement à propos de l'un et affirmativement [15] à propos de l'autre. De sorte qu'il est possible de conclure les opposées, sauf que ce n'est pas toujours ni de toutes les façons, mais lorsque les termes qui sont sous le moyen terme sont pris de telle façon qu'ils sont ou bien identiques, ou bien dans la relation de tout à partie. Autrement, c'est impossible ; en effet, d'aucune autre façon les prémisses ne seront contraires, ni opposées.
Troisième figure
[20] Dans la troisième figure, il n'y aura jamais de déduction affirmative à partir de prémisses contraires, pour la raison qui a déjà été dite à propos de la première figure. Mais il y aura une déduction négative, aussi bien avec des termes universels qu'avec des termes non universels. Posons en effet science en B et C, et médecine en A. Si [25] donc on pose comme prémisses que toute médecine est science et qu'aucune médecine n'est science, on aura posé que B est le cas pour tout A et pour aucun C, de sorte que telle science ne sera pas une science. Même chose si on ne prend pas la prémisse BA universelle ; en effet, si telle médecine est une science, et que par ailleurs aucune médecine n'est science, il s'ensuit que telle [30] science n'est pas science (en posant les termes universellement, les prémisses sont contraires, et en posant l'un des deux particulier, elles sont opposées).
Préceptes pour l'usage dialectique
Il faut avoir bien conscience qu'il est certes possible de prendre les opposés comme cela (à savoir : « toute science a de la valeur [35] morale » en face de : « aucune science n'a de valeur morale » ou de : « telle science n'a pas de valeur morale »), ce qui normalement ne passe pas inaperçu ; mais qu'il est possible de déduire l'un des deux en passant par d'autres interrogations, ou de les prendre de la façon qu'on a dite dans les Topiques.
Et puisque les oppositions d'affirmations sont au nombre de trois, il s'ensuit qu'il y a six façons de prendre les opposés : soit pour tout — et pour aucun —, soit pour tout —[40] et pas pour tout —, soit pour tel — et pour aucun —, et <il est possible aussi> de renverser l'ordre [64b] des termes, par exemple : A est le cas pour tout B, et pour aucun C ; ou pour tout C, et pour aucun B ; ou pour l'un tout entier, et pas pour tout l'autre – et, ici encore, de renverser l'ordre des termes. Même chose pour la troisième figure. De sorte qu'on voit de combien de façons, [5] et dans quelles figures, il est possible d'avoir une déduction au moyen de prémisses opposées.
Et on voit aussi qu'il est possible de déduire le vrai de prémisses fausses, comme on l'a dit auparavant, mais qu'à partir des contraires ce n'est pas possible : car alors la déduction obtenue se trouve toujours être contraire à <ce qu'est> [10] le sujet : par exemple, si quelque chose est un bien, <la conclusion sera> que ce n'est pas un bien ; ou, si c'est un animal, que ce n'est pas un animal, du fait que la déduction a lieu à partir de propositions contradictoires et que les termes posés comme sujet sont, ou bien les mêmes, ou bien l'un le tout et l'autre la partie.
Il est clair aussi que dans les faux raisonnements rien n'empêche qu'on ait la contradictoire de la supposition, par exemple que si un nombre est impair, [15] on ne conclue qu'il n'est pas impair. Car on a vu qu'en partant de prémisses opposées la déduction était contraire. Si donc on prend des prémisses de cette sorte, on aboutira à la contradictoire de la supposition.
Et il faut avoir bien conscience qu'il n'est certes pas possible de conclure des contraires de cette façon (de telle sorte que la conclusion soit que ce qui n'est pas un bien est un bien ou quelque chose de ce genre) à partir d'une déduction unique [20] (à moins qu'on ne prenne d'emblée une prémisse de ce genre, par exemple que tout animal est blanc et non blanc, et que l'homme est un animal), mais qu'il faut ou bien introduire la proposition contradictoire comme une prémisse supplémentaire (poser, par exemple, que toute science est certitude, puis poser que la médecine est certes une science, mais qu'aucune médecine n'est certitude, comme cela se passe dans les réfutations), [25] ou bien avoir recours à deux déductions. Mais afin que les prémisses qu'on a posées soient contraires selon la vérité, il n'y a pas d'autre façon de faire que celle-ci, tout comme on l'a dit précédemment.
Chapitre 16
« Postuler dès le départ »
Pour le situer <d'abord> dans une classe plus large, « postuler (ou « poser ») au départ » est une façon de ne pas démontrer la conclusion proposée ; mais cela [30] peut se produire encore de plusieurs façons différentes : en effet, cela se produit si en général on ne déduit pas, et si on déduit à partir de prémisses moins bien connues ou pareillement connues, et si on déduit ce qui est antérieur à partir de ce qui vient ensuite (car la démonstration repose sur des propositions plus certaines et antérieures). En fait, aucune de ces façons de faire n'est « postuler dès le départ » ; mais puisque certaines choses sont de nature à être connues [35] par elles-mêmes, et les autres au moyen d'autre chose (c'est-à-dire que les principes sont de nature à être connus par eux-mêmes, alors que ce qui est subordonné aux principes doit être connu par autre chose), alors, lorsque quelqu'un entreprend d'établir par soi-même quelque chose qui n'est pas connaissable par soi, il postule dès le départ.
Or cela peut se faire de telle sorte que d'emblée on déclare vrai ce qui est à démontrer, mais il se peut aussi qu'on démontre ce qui est demandé en passant [40] par certaines autres propositions, parmi celles qui sont de nature à être démontrées au moyen de <ce qui est demandé>. [65a] Ainsi, si on établit A au moyen de B et B au moyen de C, alors que C est de nature à être établi au moyen de A ; car il s'ensuit que ceux qui déduisent ainsi démontrent A lui-même au moyen de lui-même. C'est ce que font ceux qui pensent construire [5] les parallèles : ils ne s'aperçoivent pas qu'ils admettent eux-mêmes des propositions qui sont telles qu'on ne pourrait pas les démontrer si les parallèles n'existaient pas. De sorte que ce qui arrive à ceux qui raisonnent ainsi, c'est de dire que X est le cas si X est le cas ; mais de cette façon-là tout sera connaissable par soi-même, ce qui est impossible.
[10] Si donc quelqu'un, alors qu'il n'est pas évident que A est le cas pour C ni, de même, que A est le cas pour B, demande qu'on admette que A est le cas pour B, cela ne montre pas encore clairement qu'il postule dès le départ, mais il est clair qu'il ne démontre pas ; car ce qui est tout aussi peu évident que la conclusion n'est pas le point de départ de la démonstration. Si toutefois B et C sont dans une relation telle qu'ils sont la même chose, ou [15] s'il est clair qu'ils se convertissent, ou si l'un est le cas pour l'autre, alors on postule au départ. Et de fait, à partir de ces prémisses-là, on pourrait démontrer que A est le cas pour B, s'il faisait la conversion. En réalité cela l'interdit, mais la forme <du raisonnement> ne l'interdit pas ; et si quelqu'un faisait cela, il ferait ce qu'on a dit, c'est-à-dire qu'il reviendrait au point de départ à travers trois <propositions>.
De même, si l'on pose que B est le cas [20] pour C alors que ce serait tout aussi peu clair que « A est le cas pour C », ce ne serait pas encore postuler dès le départ, mais on ne démontrerait pas. Mais si A et B reviennent au même, soit parce qu'ils se convertissent, soit parce que A suit de B, alors, pour la même raison, on postulera dès le départ. Car ce que signifie « <postuler> dès le départ », nous l'avons dit : c'est établir par soi-même [25] quelque chose qui n'est pas évident par soi-même.
Étant admis, donc, que « postuler au départ » consiste à établir par soi-même ce qui n'est pas évident par soi-même (ce qui revient à ne pas établir) lorsque, alors que ce qui est établi et ce au moyen de quoi on établit sont aussi peu clairs l'un que l'autre, soit du fait que l'on pose que les mêmes faits sont le cas pour le même objet, soit parce que le même fait est le cas pour les mêmes objets ; s'il en est ainsi, dans [30] la figure intermédiaire et dans la troisième, il est sans doute possible de « postuler au départ » de l'une et de l'autre façon. Pour une déduction affirmative, c'est possible et dans la première et dans la troisième ; et lorsque l'on déduit une négative, c'est possible lorsque l'on nie les mêmes faits d'un même objet ; et cela ne se fait pas de la même façon pour les deux prémisses (même chose dans la figure intermédiaire), du fait que [35] les termes ne se convertissent pas dans les déductions négatives.
(Dans les démonstrations, « postuler au départ » se produit lorsque les termes sont dans cette relation selon la vérité ; dans les déductions dialectiques, lorsqu'on est d'avis qu'ils sont dans cette relation.)
Chapitre 17
« Ceci ne dépend pas de cela »
Le fait qu'une conclusion fausse « ne dépend pas de cela » – formule que nous utilisons couramment dans nos discussions – se rencontre, premièrement, dans [40] les réductions à l'impossible, lorsqu'on l'emploie pour contredire [65b] ce qui a été établi par réduction à l'impossible.
En effet, on ne dira pas : « ceci ne dépend pas de cela » si on n'a pas énoncé de contradictoire, mais on dira qu'il y a quelque chose de faux dans ce qui a été posé précédemment ; on ne le dira pas non plus dans la démonstration directe, car celle-ci ne pose pas <explicitement> quelle est la thèse contredite. En outre, lorsqu'on réfute quelque chose par voie de démonstration directe au moyen des termes A, B, C, il n'y a pas lieu non plus [5] de dire que la déduction ne dépend pas de ce qui a été posé. En effet nous disons : « ceci ne dépend pas de cela » lorsqu'en supprimant cela la déduction n'en atteint pas moins sa conclusion, ce qui ne se produit pas dans les déductions directes : car une fois supprimée la thèse, il n'y aura pas non plus de déduction en relation avec celle-ci. On voit donc que c'est dans les [10] réductions à l'impossible que l'on dit « ceci ne dépend pas de cela », et plus précisément lorsque la supposition initiale est par rapport à l'impossibilité dans une relation telle que, qu'elle soit ou qu'elle ne soit pas vraie, l'impossibilité n'en advient pas moins.
Le cas le plus manifeste où la conclusion fausse « ne dépend pas de la thèse » se rencontre lorsque la déduction de la proposition impossible se fait à partir de moyens termes [15] qui ne se rattachent pas à l'hypothèse, ce qui a été exposé aussi dans les Topiques. Car c'est cela, poser ce qui n'est pas une cause comme si c'était la cause ; comme si, voulant montrer que la diagonale est incommensurable, on entreprenait d'attaquer l'argument de Zénon selon lequel il n'est pas possible que quelque chose se meuve, et qu'on voulait ramener la thèse à cet impossible-là. Dans ce cas, en effet [20] le faux n'est, d'aucune façon et à aucun point de vue, en continuité avec l'affirmation initiale.
Un autre cas <de cette erreur> se rencontre si l'impossible est continu avec la supposition <initiale>, mais que cependant il ne se produit pas à cause d'elle. Car cela peut avoir lieu aussi bien en prenant la continuité vers le haut que vers le bas : par exemple si l'on pose que A est le cas pour B, [25] B pour C et C pour D, et que ceci est faux, à savoir que B est le cas pour D. En effet, si, en écartant A, B n'en est pas moins le cas pour C et C pour D, la conclusion fausse ne dépendra pas de la supposition initiale.
Ou encore, en prenant la continuité vers le haut : si par exemple A est le cas pour B, E pour [30] A et F pour E, et qu'il est faux que F soit le cas pour A. De cette façon, en fait, l'impossibilité ne serait pas moins réelle une fois supprimée la supposition initiale. Mais il faut rattacher l'impossibilité aux termes <de la supposition> initiale, car c'est de cette façon que ce sera à cause de la supposition. Ainsi si on prend la continuité vers le bas, [35] du côté de celui des termes qui est prédiqué : en effet, s'il est impossible que A soit le cas pour D, en supprimant A la conclusion fausse ne subsistera plus. Et vers le haut, du côté de celui dont on prédique : en effet, si F ne peut pas être le cas pour B, en supprimant B la conclusion impossible n'existera plus. Même chose lorsque les déductions sont [40] négatives.
[66a] On voit donc que lorsque l'impossibilité n'est pas en relation avec les termes <de la supposition> initiale, la conclusion fausse ne dépend pas de ce qui a été posé.
Ou bien est-ce que, même ainsi, le faux ne dépendra pas toujours de la supposition ? De fait, si on avait posé que A est le cas non pour B, mais pour K, que K est le cas pour C [5] et celui-ci pour D, de cette façon aussi l'impossibilité subsiste (et de même si l'on prend les termes vers le haut) ; de sorte que puisque, que celui-ci soit ou qu'il ne soit pas le cas, l'impossibilité se produit, elle ne dépendrait pas de ce qui a été posé. À moins que la clause : « le faux ne se produit pas moins lorsque ceci n'est pas le cas » ne doive être entendue au sens où ce serait en posant autre chose que se produirait [10] l'impossibilité, cependant que, lorsque cet autre chose serait supprimé, la même impossibilité résulterait des prémisses restantes, puisqu'il n'y a sans doute rien d'étrange à ce que la même proposition fausse résulte de plusieurs suppositions différentes. Ainsi, les parallèles se coupent aussi bien si l'angle intérieur est plus grand que l'angle extérieur, et si le triangle vaut plus que deux [15] angles droits.
Chapitre 18
La source de l'erreur dans les prémisses
Un argument faux dépend d'une fausseté initiale. En effet, toute déduction est constituée de deux prémisses ou davantage. Si donc elle résulte de deux, il est nécessaire que l'une des deux, ou toutes les deux, soient fausses. En effet, nous avons vu qu'il n'y a pas de déduction fausse à partir de prémisses [20] vraies. Si la déduction résulte d'un plus grand nombre de prémisses, si par exemple C résulte de A et B et celles-ci de D, E, F et G, l'une de ces propositions antérieures sera fausse, et l'argument sera faux à partir de là, car A et B sont obtenues à partir de celles-là, de sorte que c'est de quelque chose qui est contenu en elles que dépendent la conclusion et sa fausseté.
Chapitre 19
Préceptes pour parvenir à une réfutation
[25] Afin de ne pas permettre à l'adversaire de parvenir jusqu'à la déduction, il faut, lorsque l'interrogation porte sur l'argument sans ses conclusions, prendre garde à ne pas accorder deux fois le même terme dans les prémisses, puisque justement nous savons que sans moyen terme il n'y a pas de déduction et que le moyen terme est celui qui est énoncé plus d'une fois. De quelle façon il faut prendre garde au moyen terme en relation avec chaque [30] conclusion, cela se voit clairement une fois qu'on sait quelle sorte de conclusion est démontrée dans chaque figure. Et cela ne nous échappera pas, parce que nous savons comment soutenir un argument.
Or, ce que nous recommandons de surveiller quand on répond, il faut essayer de le faire sans se faire remarquer lorsque nous attaquons nous-mêmes une thèse. Cela se fait, [35] premièrement, lorsqu'on n'a pas tiré les conclusions de déductions préliminaires mais que, alors qu'on a posé les prémisses indispensables, elles ne sont pas manifestes ; et aussi lorsqu'on ne fait pas porter les questions sur les termes à la suite l'un de l'autre, mais <qu'elles se succèdent>, autant que possible, sans moyen terme : par exemple, supposons qu'il faille conclure que A s'applique à F avec comme moyens termes B, C, D et E ; il faut donc demander si A est le cas pour B ; et ensuite, non pas si B est le cas [40] pour C, mais si D est le cas pour E ; puis si B est le cas pour C, et ainsi [66b] de suite pour le reste. Et si la déduction résulte d'un seul moyen terme, il faut commencer par ce moyen terme : car c'est comme cela que cela échappera le plus facilement au répondant.
Chapitre 20
Maintenant que nous savons quand, et avec quelles dispositions des termes, il y a [5] déduction, on voit quand il y aura et quand il n'y aura pas de réfutation. En effet, quand tout a été accordé, ou si l'on a donné des réponses inverses – ainsi, l'une négative et l'autre affirmative –, il est possible qu'il y ait une réfutation. Car nous avons vu qu'il y a déduction aussi bien avec cette disposition-là des termes qu'avec celle-ci, de sorte que si ce qui [10] est proposé est contraire à la conclusion, il doit nécessairement y avoir une réfutation, car la réfutation est la déduction de la contradictoire. Mais si rien n'a fait l'objet d'un accord, il est impossible qu'il y ait une réfutation, car, nous l'avons vu, il n'y a pas de déduction lorsque tous les termes sont niés, de sorte qu'il n'y a pas non plus de réfutation ; car lorsqu'il y a réfutation, il doit nécessairement y avoir déduction ; [15] alors que lorsqu'il y a déduction, il n'y a pas nécessairement de réfutation. Même chose si dans la réponse rien n'a été posé de façon universelle ; car la même condition caractéristique vaudra pour la réfutation et pour la déduction.
Chapitre 21
Erreurs liées à nos croyances
De même que nous nous trompons en posant les termes, il arrive parfois que l'erreur tienne à ce que nous croyons.
[20] Ainsi, s'il se peut que la même chose soit le cas de façon immédiate pour plusieurs termes, et que pour les uns cela échappe (c'est-à-dire que l'on pense que ce n'est le cas pour aucun de ceux-ci) alors que pour les autres on sait que c'est le cas : posons que A est le cas pour B et pour C en eux-mêmes, et que ceux-ci, de la même façon, sont le cas pour tout D. Si donc quelqu'un estime que A est le cas pour tout B et que celui-ci est le cas pour D, et que d'autre part il pense que A n'est le cas pour [25] aucun C et celui-ci pour tout D, il aura la connaissance et l'ignorance de la même chose à propos du même sujet.
Même chose encore si quelqu'un commet une erreur à propos de termes appartenant à la même série : ainsi si A est le cas pour B, celui-ci pour C et C pour D et si l'on estime que A est le cas pour tout B et par ailleurs pour aucun C, alors on saura quelque chose et en même temps [30] on croira que ce n'est pas le cas. Mais, à partir de ces prémisses, est-ce que ce que l'on estime ne pas croire n'est vraiment pas autre chose que ce que l'on sait ? Car on sait d'une certaine façon, par l'intermédiaire de B, que A est le cas pour C, au sens où on connaît le particulier par l'intermédiaire de l'universel. De sorte que ce que l'on sait d'une certaine façon, on estime qu'on ne le croit pas du tout – ce qui est impossible.
Pour revenir à ce que nous disions au commencement, [35] si le moyen terme ne provient pas de la même série, il n'est pas possible de croire vraies ensemble les deux prémisses selon chacun des deux moyens termes, par exemple de croire que A est le cas pour tout B et n'est le cas pour aucun C, et que ces deux termes sont le cas pour tout D. Car cela revient à poser la première prémisse contraire <à elle-même>, soit absolument, soit dans une certaine mesure. [40] Car si on croit que A est le cas pour tout ce pour quoi B est le cas, [67a] et qu'on sait que B est le cas pour D, alors on sait que A est le cas pour D, de sorte que si par ailleurs on pense que A n'est le cas pour rien de ce pour quoi C est le cas, alors on pense que A n'est pas le cas pour telle chose pour laquelle B est le cas. Or penser que ce qu'on pense être le cas pour tout ce pour quoi B est le cas, n'est pas le cas pour telle chose pour laquelle on pense que B est le cas, c'est contraire <à soi-même>, soit [5] absolument, soit dans une certaine mesure.
Il ne se peut pas, donc, qu'on ait un tel <ensemble de> croyances ; mais rien n'empêche de croire une seule et même prémisse selon les deux moyens termes ; ou les deux prémisses selon l'un des deux : par exemple, de penser que A est le cas pour tout B et B pour D, et par ailleurs que A n'est le cas pour aucun C. Une erreur de cette sorte est semblable à la façon dont nous nous trompons à propos de faits particuliers : ainsi si A est le cas pour tout [10] ce pour quoi B est le cas, et que B est le cas pour tout C, A sera le cas pour tout C. Si donc quelqu'un sait que A est le cas pour tout ce pour quoi B est le cas, il sait que c'est le cas pour tout C. Mais rien n'empêche qu'il ignore que C existe, par exemple si A = deux droits, en B : triangle, et en C : un certain triangle sensible. Car quelqu'un peut croire [15] que C n'existe pas, tout en sachant que tout triangle vaut deux droits, de sorte qu'à la fois il saura et ignorera la même chose. En effet, savoir, de tout triangle, qu'il vaut deux droits, n'est pas une chose simple, mais tient d'une part au fait d'avoir la connaissance universelle, et de l'autre au fait d'avoir la connaissance particulière. Il sait donc que C vaut deux droits au sens de la connaissance universelle, [20] mais il ne le sait pas au sens de la connaissance particulière, de sorte qu'il n'aura pas de convictions contraires.
L'argument du Ménon – à savoir qu'apprendre, c'est se ressouvenir – ressemble lui aussi à cela. En effet, il n'implique nullement que l'on connaisse à l'avance le singulier ; mais ce qui se passe, c'est qu'on acquiert instantanément la connaissance scientifique des singuliers, par induction, comme quand on lit. Car il y a des choses [25] que nous savons immédiatement, par exemple que cela vaut deux droits, dès lors que nous voyons que c'est un triangle, et de même aussi dans les autres cas.
Nous avons donc une connaissance théorique des cas particuliers à travers la prémisse universelle, mais nous ne les connaissons pas par une proposition spéciale. De sorte qu'il est possible aussi de se tromper à leur sujet, sans que ce soit contradictoire pour autant ; on aura alors la proposition universelle tout en se représentant le cas [30] particulier de façon fausse. Ce qui se produit dans les cas dont nous venons de parler, donc, est semblable à cela. En effet, l'erreur commise sur le moyen terme n'est pas contraire à la connaissance scientifique qui résulte de la déduction, pas plus que la croyance que l'on a à propos de chacun des moyens termes. Et rien n'empêche qu'en sachant que A est le cas pour B tout entier, et par ailleurs celui-ci pour C, on pense que A n'est pas le cas [35] pour C : rien n'empêche, par exemple, en sachant que toute mule est stérile, et que cette bête-ci est une mule, de penser qu'elle est pleine. Car on ne sait pas que A est le cas pour C si on ne rassemble pas l'une et l'autre prémisse dans un acte de pensée.
De sorte qu'il est clair que si d'un côté on sait et de l'autre on ne sait pas, on se trompera ; c'est précisément ce qui se produit pour les sciences universelles dans leur relation aux particulières. Car nous ne connaissons aucun [67b] des objets sensibles lorsqu'il est en dehors de notre sensation (pas même s'il se trouve que nous en avons eu la sensation auparavant), si ce n'est de la façon dont on connaît par l'universel, et par la possession de la connaissance propre, et non pas par l'actualisation. Car « savoir » se dit de trois façons, ou bien comme savoir par l'universel, ou comme savoir par la connaissance propre, [5] ou comme savoir par l'actualisation, de sorte que « se tromper » se dira d'autant de façons. Rien donc n'empêche que l'on sache et que l'on se trompe au sujet de la même chose, seulement ce n'est pas de façon contraire. C'est précisément ce qui arrive à celui qui connaît selon l'une et l'autre prémisse et qui n'a pas réfléchi avant. Car lorsqu'il croit que la mule est pleine, il n'a pas la connaissance scientifique selon l'actualisation. [10] Mais avec cette croyance il ne commet pas non plus une erreur contraire à sa science ; car l'erreur contraire à la science universelle <serait> une déduction.
Celui qui croit que « être bien » est « être mal » pensera que « être bien » et « être mal » sont la même chose. Posons en effet en A « être bien », « être mal » en B, et posons encore une fois [15] « être bien » en C. Donc puisqu'il croit que B et C sont la même chose, il croira aussi que C est B, et en outre, de la même façon, que B est A, de sorte qu'il croira aussi que C est A. De même en effet, nous l'avons vu, que s'il est vrai que B s'applique à ce à quoi C s'applique et que A s'applique à ce à quoi B s'applique, alors A s'applique à C réellement, de même [20] en ce qui concerne la croyance. Et de même aussi pour l'être : lorsque C et B sont la même chose, et que par ailleurs B est A, alors C aussi, nous l'avons dit, est la même chose que A. De sorte qu'il en va de même aussi pour ce qui est de la croyance. N'est-ce donc pas nécessaire, si l'on accorde les prémisses initiales ? Mais peut-être cela est-il faux, à savoir que quelqu'un croie que « être bien » soit « être mal », [25] à moins que ce ne soit le cas par accident ; car il y a plusieurs façons possibles de croire cela ; et il faudra examiner ce point plus soigneusement.
Chapitre 22
Cas de termes extrêmes coextensifs
Lorsque les termes extrêmes se convertissent, il est nécessaire que le moyen terme se convertisse lui aussi par rapport à l'un et à l'autre. Car si A est le cas à propos de C par l'intermédiaire de B, s'ils se convertissent, c'est-à-dire que C est le cas pour tout ce pour quoi A est le cas, [30] alors, de même, B se convertit par rapport à A, et B sera le cas pour tout ce pour quoi A est le cas par l'intermédiaire du moyen terme C ; et C se convertit par rapport à B par l'intermédiaire du moyen terme A.
Il en va de même pour — n'est pas le cas. Par exemple, si B est le cas pour C et A n'est pas le cas pour B, A ne sera pas non plus le cas pour C. Alors, si B se convertit par rapport à A, [35] C aussi se convertira par rapport à A. Posons en effet que B n'est pas le cas pour A : donc C ne le sera pas non plus, car nous avons vu que B est le cas pour tout C.
Et si B se convertit par rapport à C, A aussi se convertit. En effet, tout ce dont B se dit, C se dit aussi de lui.
Et si C se convertit par rapport à A, B aussi se convertit. Car ce pour quoi B est le cas, [68a] C est le cas pour lui ; et ce pour quoi C est le cas, A n'est pas le cas pour lui. Et seul ce dernier cas a son point de départ dans la conclusion ; le reste ne se comporte pas de la même façon que dans la déduction affirmative.
Si maintenant A et B se convertissent, et de même C et D, et s'il est nécessaire [5] que A ou bien B soit le cas pour tout sujet, alors B et D aussi seront dans une relation telle que l'un des deux soit <nécessairement> le cas pour tout sujet. En effet, puisque B est le cas pour ce pour quoi A est le cas, et que D est le cas pour ce pour quoi C est le cas, et que pour tout sujet, A ou C est le cas et jamais les deux à la fois, on voit que pour tout sujet, B ou D est le cas et jamais les deux à la fois. Par exemple, si ce qui n'est pas engendré est indestructible, et que ce qui est indestructible n'est pas engendré, alors, nécessairement, ce qui a été engendré est destructible et [10] ce qui est destructible a été engendré. En effet, deux déductions sont combinées ici. Si maintenant A ou bien B, et C ou bien D, sont le cas pour tout sujet et ne sont pas le cas ensemble, alors, si A et C se convertissent, B et D se convertissent aussi. Car si B n'est pas le cas pour tel objet, alors il est clair que A est le cas. [15] Mais si A, alors C, car ces termes se convertissent, de sorte que C et D sont le cas ensemble ; or ceci est impossible.
Et lorsque A est le cas pour B tout entier et pour C tout entier et ne s'applique à rien d'autre, et que par ailleurs B est le cas pour tout C, A et B doivent nécessairement se convertir. En effet, puisque A se dit uniquement des B et C, et que B s'applique [20] et à lui-même et à C, on voit que B se dira de toutes les choses dont A se dit, excepté de A lui-même.
Maintenant, lorsque A et B sont le cas pour C tout entier et que B se convertit par rapport à C, A doit nécessairement être le cas pour tout B. Car, puisque A est le cas pour tout C, et C pour B du fait qu'ils se convertissent, A aussi sera le cas [25] pour tout B.
Arguments axiologiques
Lorsque, de deux termes distincts et opposés, A est préférable à B, si de la même façon D est préférable à C, alors, si A plus C est préférable à B plus D, A est préférable à D. En effet, c'est au même degré qu'il faut rechercher A et éviter B (car ils sont opposés), et <de même> C par rapport à D (car ceux-ci aussi sont opposés). Si donc [30] A est souhaitable au même degré que D, de même B est à éviter au même degré que C. Car chacun est à éviter au même degré que l'autre est à rechercher ; de sorte qu'il en va de même des deux pris ensemble, à savoir AC par rapport à BD. Mais s'ils le sont davantage, il n'est pas possible que <les termes pris un par un> le soient au même degré. De fait si, comme on l'a dit, B et D le sont au même degré, alors, si D est préférable à A, B de son côté doit être moins à éviter que C ; car ce qui est moins [35] est opposé à ce qui est moins. Or ce qui est un plus grand bien ou un moindre mal est préférable à ce qui est un moindre bien ou un plus grand mal ; et donc le total, BD, est préférable à AC. Mais en réalité il ne l'est pas ; donc A est préférable à D, et donc C est moins à éviter que B.
Si donc tout amoureux choisirait, en fonction de son [40] amour, d'avoir avec l'être aimé une relation telle que celui-ci soit disposé à lui accorder ses faveurs (A), cependant qu'il n'en jouirait pas (C), plutôt que d'en jouir (D) et [68b] de ne pas être celui à qui on les accorderait (B), il est clair que A, être celui à qui on les accorderait, est préférable à en jouir. Donc être aimé est préférable, du point de vue de l'amour, à l'union physique. Donc le désir amoureux porte davantage sur l'amour que sur l'union physique. Et s'il [5] est davantage désir de cela, c'est aussi cela qui est la fin. Donc l'union physique n'est pas du tout une fin, ou bien l'est en vue d'être aimé. Et de fait il en va ainsi dans les autres désirs et dans les arts en général.
Chapitre 23
On voit donc quelles relations il y a entre les termes en ce qui concerne leurs conversions et en ce qui concerne le fait d'être préférables ou plus à éviter. Mais [10] il convient de dire maintenant que non seulement les déductions dialectiques et démonstratives, mais aussi les déductions rhétoriques, ont lieu selon les figures que nous avons exposées précédemment – et en général toute certitude, quelle que soit la discipline dans laquelle elle est obtenue. En effet, toutes nos certitudes sont acquises soit par une déduction, soit à partir d'une induction.
L'induction
[15] L'induction, donc, ou la déduction qui provient d'une induction, consiste à déduire, au moyen de l'un des deux termes, que l'autre est le cas pour le moyen. Par exemple, si B est moyen terme entre A et C, cela consiste à montrer au moyen de C que A est le cas pour B. En effet, c'est ainsi que nous formons nos inductions. Soit par exemple A = qui vit longtemps ; en B : qui n'a pas de fiel ; [20] et en C : les animaux qui vivent longtemps pris un par un, par exemple l'homme, le cheval et le mulet. A est le cas pour C tout entier (en effet, tout ce qui est sans fiel vit longtemps). Mais B aussi, ne pas avoir de fiel, est le cas pour tout C. Si donc C se convertit par rapport à B et si le moyen terme ne s'étend pas au-delà, alors A doit nécessairement être le cas pour B. En effet, [25] on a montré précédemment que si deux termes quelconques sont le cas pour un même terme, et si ce terme extrême se convertit avec l'un ou l'autre des deux, alors le second terme prédiqué sera lui aussi le cas pour celui qui se convertit. Mais il faut concevoir C comme constitué de tous les termes particuliers ; car l'induction se fait au moyen de tous.
[30] C'est une déduction de cette sorte qui établit la prémisse première et immédiate. En effet, pour les propositions qui admettent un moyen terme, la déduction se fait grâce au moyen terme, mais, pour celles qui n'en admettent pas, par induction. Et d'une certaine façon, l'induction est l'opposé de la déduction, car celle-ci établit que le terme extrême est le cas pour le troisième grâce au moyen terme, alors que celle-là établit au moyen du troisième terme [35] que le terme extrême est le cas pour le moyen. Par nature, donc, la déduction par le moyen terme est première et mieux connue, alors que pour nous celle qui provient de l'induction est plus claire.
Chapitre 24
L'exemple
On a un exemple lorsqu'on montre que le terme extrême est le cas pour le moyen terme grâce à un terme semblable au troisième.
Mais il faut qu'il soit bien connu que [40] le moyen est le cas pour le troisième, et que le premier est le cas pour ce terme semblable. Ainsi, soit A = mauvais, B = déclarer la guerre à des[69a]voisins, en C : les Athéniens par rapport aux Thébains et en D : les Thébains par rapport aux Phocidiens. Si nous voulons montrer qu'il est mauvais de faire la guerre aux Thébains, il faut poser que faire la guerre à ses voisins est mauvais. Or la conviction sur ce point proviendra des cas [5] semblables, par exemple du fait que la guerre contre les Phocidiens a été un mal pour les Thébains. Puisque donc la guerre contre les voisins est une mauvaise chose, et que la guerre contre les Thébains est une guerre contre des voisins, on voit que faire la guerre aux Thébains serait un mal. Que donc B est le cas pour C et pour D, c'est clair (car l'un et l'autre consistent à entreprendre une guerre contre des voisins), et aussi que A est le cas pour [10] D (car la guerre contre les Phocidiens n'a pas été avantageuse pour les Thébains). Mais que A est le cas pour B, on le montrera au moyen de D. Et il en va de même lorsque la certitude que le moyen est le cas pour le terme extrême est obtenue grâce à plusieurs cas semblables.
On voit donc que l'exemple n'est ni comme la partie par rapport au tout ni comme le tout par rapport à la partie, [15] mais qu'il est comme une partie par rapport à une partie, lorsque les deux tombent sous un même <genre> et que l'un des deux cas est bien connu. Et l'exemple diffère de l'induction parce que celle-ci démontrait que le terme extrême est le cas pour le moyen terme à partir de tous les cas indivisibles, et qu'elle ne rattachait pas sa déduction au terme extrême, alors que l'exemple l'y rattache, et qu'il ne démontre pas à partir de tous les cas.
Chapitre 25
L'abduction
[20] Il y a abduction lorsqu'il est clair que le premier terme est le cas pour le moyen, alors que le fait que le moyen soit le cas pour le dernier n'est pas clair, tout en étant quand même aussi certain, ou davantage, que la conclusion. Et aussi lorsque les moyens termes entre le terme extrême et le moyen sont peu nombreux. Car de toutes ces conditions il résulte qu'on se rapproche de la connaissance scientifique.
Ainsi, soit A = enseignable, [25] en B : science, et C = vertu. Que la science, en tout cas, soit enseignable, c'est évident ; mais si la vertu est ou non science, ce n'est pas clair. Si donc BC est aussi certain, ou davantage, que AC, on aura une abduction, car on se rapprochera d'une connaissance scientifique du fait d'avoir introduit AB, scientifiquement certaine, qu'on n'avait pas <prise en compte> auparavant.
Et encore, si les moyens termes entre B et C sont [30] peu nombreux, car de cette façon aussi on se rapproche de la connaissance scientifique. Par exemple, si on a D = quarrer ; en E : figure rectiligne ; en F : cercle ; s'il y a un seul moyen terme entre E et F, à savoir le fait que le cercle soit égal à une figure rectiligne avec des lunules, on se rapprochera du savoir scientifique. Mais lorsque BC n'est pas plus certain que AC et que [35] les moyens termes ne sont pas non plus en petit nombre, je ne parle pas d'abduction. Il n'y en a pas non plus lorsque BC est immédiat, car dans ce cas-là c'est un savoir scientifique.
Chapitre 26
L'objection
L'objection est une prémisse contraire à une prémisse. Elle diffère de la prémisse par le fait qu'elle peut être particulière, alors que la prémisse, ou bien ne peut absolument pas l'être, ou, du moins, pas dans les [69b] déductions universelles.
On porte une objection de deux façons et au moyen de deux figures : de deux façons, parce que toute objection est soit universelle, soit partielle, et au moyen de deux figures parce que porter une objection consiste à prendre l'opposé des prémisses et que c'est seulement dans la première et dans la troisième [5] figure que les opposés produisent une conclusion. En effet, lorsqu'on estime que quelque chose est le cas pour tout objet, nous objectons soit que ce n'est le cas pour aucun, soit que ce n'est pas le cas pour tel d'entre eux. De ces deux objections, « n'est le cas pour aucun — » relève de la première figure, et « n'est pas le cas pour tel — », de la dernière.
Par exemple, soit A = il y a une seule science, et en B : les contraires. Alors, lorsque quelqu'un pose comme prémisse qu'il y a une seule [10] science des contraires, on objecte soit qu'en général il n'y a pas une même science pour des opposés, et que les contraires sont des opposés, de sorte qu'on obtient la première figure ; soit qu'il n'y a pas une science unique pour le connaissable et l'inconnaissable, et ceci, c'est la troisième figure : car <on dit> à propos de C, le connaissable et l'inconnaissable, qu'il est vrai que ce sont des contraires, mais qu'il est faux qu'ils soient objets de la même science. [15] Et par ailleurs, il en va de même pour la prémisse négative : si on estime qu'il n'y a pas une science unique des contraires, nous disons, soit qu'il y a la même science pour tous les opposés, soit que pour certains contraires il y a la même, par exemple la science du sain et du malade ; l'objection « pour tous » relève de la première figure, et « pour tel », de la troisième.
Car en général, lorsque nous objectons de façon [20] universelle, il est nécessaire d'opposer à celui qui a posé la prémisse une proposition au sujet de l'universel. Ainsi, si le répondant estime que ce n'est pas la même science qui considère les contraires, il faut dire qu'« il y en a une seule pour tous les opposés ». De cette façon, on a nécessairement la première figure, car l'universel devient moyen à l'égard de ce qui a été posé au départ. Et lorsque nous objectons de façon partielle, <il faut opposer une proposition> au sujet de ce qui est l'universel sur lequel [25] porte la prémisse : par exemple, que « ce n'est pas la même science qui considère le connaissable et l'inconnaissable ». En effet, par rapport à ces termes, « les contraires » est universel ; et cela donne la troisième figure, car le moyen terme est celui qui a été posé comme partiel (dans l'exemple : le connaissable et l'inconnaissable).
En effet, c'est à partir des configurations qui permettent de déduire le contraire que nous entreprenons aussi d'énoncer nos objections. C'est pourquoi [30] nous les portons à partir de ces figures-là seulement ; car c'est dans celles-là seulement qu'on trouve des déductions contraires. En effet, nous avons vu que dans la figure moyenne il n'était pas possible de déduire affirmativement. De plus, l'objection au moyen de la figure intermédiaire demande davantage d'arguments : par exemple si on n'accorde pas que A est le cas pour B du fait que C ne suit pas de lui ; car cela est établi au moyen d'autres prémisses. [35] Or il ne faut pas dévier l'objection vers d'autres <sujets>, mais il faut avoir tout de suite une prémisse alternative manifeste. C'est pourquoi cette figure est la seule à partir de laquelle il n'y a pas de signe.
Et il faut examiner aussi ce qu'il en est des autres objections, comme celles que l'on tire des contraires, du semblable ou du plausible ; et aussi [70a] voir s'il est possible de tirer de la première figure une objection particulière, ou de tirer une objection négative de la figure intermédiaire.
Chapitre 27
L'enthymème et les signes
Le vraisemblable et le signe ne sont pas la même chose, mais le vraisemblable est une prémisse plausible (ce dont on sait qu'en règle générale cela se produit ou ne se [5] produit pas, que cela a lieu ou n'a pas lieu, voilà ce qui est vraisemblable : par exemple détester ceux qui vous en veulent, ou donner des marques d'affection à ceux que l'on aime) ; alors que le signe veut être une prémisse démonstrative, soit nécessaire, soit plausible : si en effet, lorsqu'un certain état de choses a lieu, un fait a lieu ; ou si, lorsqu'il se produit auparavant ou par la suite, le fait se produit, cet état de choses est le signe que le fait s'est produit ou qu'il a lieu.
L'enthymème, [10] donc, est une déduction à partir de propositions vraisemblables ou de signes ; mais le signe s'entend de trois façons, autant qu'il y a de <positions> du moyen terme dans les figures : soit comme dans la première figure, soit comme dans la figure intermédiaire, soit comme dans la troisième.
Par exemple, on montre qu'une femme est enceinte au moyen du fait qu'elle a du lait, à partir de la première figure. En effet, [15] le moyen terme est avoir du lait ; en A : être enceinte ; B = avoir du lait ; et en C : femme. Et on montre que « les sages sont hommes de bien (Pittacos, en effet, est un homme de bien) », par la dernière figure. En A : être homme de bien ; en B : les sages, en C : Pittacos. De fait, il est vrai d'appliquer aussi bien A que B à C (si ce n'est que l'on n'énonce pas l'une des affirmations parce qu'elle est bien connue, [20] alors qu'on pose l'autre). Et <quand on dit> qu'une femme est enceinte parce qu'elle est pâle, cela veut être une inférence selon la figure intermédiaire. En effet, puisque la pâleur est, pour celles qui sont enceintes, une conséquence de leur état, et qu'elle affecte aussi celle-ci, on estime qu'il est démontré qu'elle est enceinte. En A : être pâle ; en B : être enceinte ; en C : femme.
Si donc on énonce une seule prémisse, on a seulement [25] un signe ; mais si l'on pose en outre la seconde prémisse, on obtient une déduction, par exemple : « Pittacos est libéral ; en effet, les ambitieux sont libéraux ; or Pittacos est ambitieux. » Ou encore : « Les sages sont bons : en effet, Pittacos est bon ; or il est également sage. » De cette façon, donc, on obtient des déductions ; mais il faut préciser que celle qui se fait selon la première figure est [30] irréfutable si elle est vraie (en effet, elle est universelle), alors que celle qui se fait selon la dernière est sujette à être réfutée, quand bien même sa conclusion serait vraie, par le fait que la déduction n'est ni universelle ni appropriée au fait (en effet, si Pittacos est homme de bien, ce n'est pas pour cela que les autres sages doivent nécessairement l'être eux aussi) ; quant à celle qui se fait selon la figure intermédiaire, elle est toujours et de toute façon réfutable. [35] En effet, il n'y a jamais de déduction lorsque les termes sont disposés de cette façon : car ce n'est pas parce que la femme enceinte est pâle, et que celle que voici est pâle elle aussi, qu'il faut nécessairement que celle-ci soit enceinte.
Certes, il peut y avoir du vrai dans tous les types de signes, mais ils présentent les différences qu'on vient de dire.
[70b] Il faut donc, ou bien diviser le signe de cette façon, et considérer comme « preuve » le moyen terme de ces formes – en effet, on dit que la preuve, c'est ce qui nous fait savoir, or c'est surtout le moyen terme qui a cette capacité ; ou bien il faut appeler « signes » les inférences à partir des termes extrêmes, et « preuves » celles qui se font à partir du moyen terme [5] (en effet, l'inférence obtenue par la première figure est la plus généralement admise et la plus vraie).
Note sur la physiognomonie
L'art de la physiognomonie est possible si l'on accorde que le corps et l'âme changent ensemble, pour toutes les propriétés qui sont naturelles (en effet, il est bien possible qu'une âme instruite se trouve quelque peu changée en apprenant, [10] mais cette affection n'est pas de celles qui sont naturelles pour nous ; alors que les passions et les désirs, par exemple, sont au nombre de nos mouvements naturels). Si donc, outre cela, on accorde en même temps qu'une seule <affection du corps> soit signe d'une seule <affection de l'âme> ; et si <on accorde> que nous soyons capables de déterminer, pour un genre donné, l'affection et le signe qui lui sont propres, alors nous pourrons pratiquer la physiognomonie.
Car s'il y a une affection qui appartient en propre à un certain genre [15] indivisible, par exemple le courage pour les lions, il doit nécessairement exister aussi un certain signe de cette affection, puisque nous avons posé par hypothèse que l'âme et le corps sont affectés ensemble ; admettons que ce soit le fait d'avoir de grandes extrémités (ce qui peut se trouver aussi dans d'autres genres – mais alors pas dans le genre tout entier). Car le signe est un propre en ce sens que c'est une affection propre d'un certain genre considéré dans son entier (et non pas, selon l'usage habituel du mot « propre », comme l'affection propre d'un seul genre). [20] Or cette affection pourra se trouver aussi dans un autre genre, c'est-à-dire que l'homme, ou tel autre animal, pourra être courageux. Il en portera donc le signe ; car nous avons dit qu'un trait unique est signe d'une affection unique. Si donc il en est ainsi, et si nous somme en mesure d'observer de tels signes sur le cas des espèces animales qui possèdent en propre une certaine affection et une seule, chaque affection ayant son signe, [25] et s'il est vrai qu'il doit nécessairement y en avoir un seul, nous pourrons pratiquer la physiognomonie.
Mais si l'espèce considérée dans son entier possède deux propres (par exemple, si le lion est courageux et généreux), comment reconnaîtrons-nous, parmi les signes qui accompagnent spécialement ces affections, quel signe est l'indice de quelle affection ? À moins que l'une et l'autre ne se retrouvent dans une autre espèce, mais non dans sa totalité, et que, dans ces espèces où chacun des deux traits se retrouve dans une partie, un animal présente l'un des signes et [30] non l'autre. Si en effet un animal qui est courageux, mais non généreux, présente tel des deux signes, il est clair que pour le lion aussi celui-ci sera le signe du courage.
Ainsi, l'art de la physiognomonie repose sur une déduction de première figure, dans laquelle le moyen terme se convertit avec le premier terme extrême, cependant qu'il s'étend au-delà du troisième terme, avec lequel il ne se convertit pas. Soit par exemple le courage = A, [35] en B : avoir de grandes extrémités, et C = lion. B est le cas pour tout ce pour quoi C est le cas (mais aussi pour d'autres) ; et A est le cas pour tout ce pour quoi B est le cas et non pour d'autres, mais cette dernière proposition se convertit ; et si on ne peut pas le faire, il n'y aura pas un signe unique pour une affection unique.
Seconds Analytiques
LIVRE I
Chapitre 1
Conditions de l'acquisition du savoir
[71a] Tout enseignement et tout apprentissage qui a lieu par un raisonnement procède d'une connaissance préexistante. Cela est manifeste pour qui considère tous les cas. En effet, les sciences mathématiques sont acquises de cette façon, ainsi que chacun des autres arts. [5] Mais il en est aussi de même à propos des raisonnements, aussi bien déductifs qu'inductifs. En effet, les uns et les autres produisent un enseignement par le biais de choses déjà connues, les premiers les admettant comme venant de gens qui se mettent d'accord, les seconds en prouvant l'universel par le fait que le particulier est clair. C'est aussi de la même manière que les arguments rhétoriques persuadent : ils le font, en effet, soit [10] par des exemples, ce qui est une induction, soit par des enthymèmes, ce qui, précisément, est un syllogisme.
Il y a deux manières selon lesquelles il est nécessaire d'avoir une préconnaissance. Pour certaines choses, il est nécessaire de saisir à l'avance qu'elles sont, pour d'autres il faut comprendre ce qu'est la chose dont on parle, pour d'autres il faut les deux ; par exemple que de toute chose il soit vrai de l'affirmer ou de la nier, il faut savoir à l'avance que c'est le cas ; pour « triangle », [15] qu'il signifie ceci ; pour l'unité c'est les deux, ce qu'elle signifie et qu'elle est. Car ce n'est pas de la même façon que chacune de ces choses est claire pour nous.
Il est possible de connaître quand certaines choses sont connues auparavant, et que les autres le sont au moment même où l'on acquiert cette connaissance, à savoir toutes celles qui se trouvent être sous un universel dont on a connaissance. En effet, que tout [20] triangle ait ses angles égaux à deux droits était connu auparavant, mais que cette figure inscrite dans un demi-cercle soit un triangle on l'a connu en même temps qu'on inférait la conclusion. Dans certains cas l'apprentissage se fait de cette façon, c'est-à-dire que ce n'est pas par le moyen terme que l'extrême est connu : c'est le cas de tous les étants singuliers, c'est-à-dire qui ne se trouvent pas dits d'un certain substrat.
Avant d'avoir inféré [25] ou d'avoir un syllogisme, il faut peut-être dire que d'une certaine manière on connaît scientifiquement, et d'une autre manière non. Car ce dont on ne savait pas au sens absolu si cela existait, comment pouvait-on savoir au sens absolu que ses angles valent deux droits ? Mais il est clair que l'on connaît scientifiquement de cette façon : on connaît scientifiquement l'universel, mais on ne connaît pas scientifiquement au sens absolu. Autrement il s'ensuivrait la difficulté du Ménon : [30] soit on n'apprendra rien, soit on apprendra ce qu'on sait déjà.
En effet, il ne faut pas tenir le discours de ceux qui s'efforcent de résoudre le problème ainsi : « Est-ce que tu sais que toute dyade est paire ou non ? » À qui répond affirmativement, on produit une dyade qu'il ne savait pas exister, et donc pas non plus être paire. La solution qu'ils proposent est que l'on ne sait pas que toute dyade est paire, mais seulement ce qu'on sait être une dyade. Cependant, [71b] on sait ce dont on possède la démonstration et dont on a admis cette démonstration. Or la démonstration que l'on a admise ne porte pas sur tout ce dont on sait que c'est un triangle ou un nombre, mais au sens absolu sur tout nombre et tout triangle. Car on ne prend jamais une prémisse de ce genre : « ce que tu sais être un nombre » [5] ou « ce que tu sais être rectiligne », mais une prémisse portant sur tout nombre ou tout rectiligne.
Mais rien n'empêche, je pense, que ce que l'on apprend en un sens on le sache scientifiquement et en un sens on l'ignore, car ce qui est absurde c'est, non pas que l'on sache d'une certaine manière ce que l'on apprend, mais de supposer qu'on le connaisse de cette façon, à savoir en tant qu'on l'apprend et de la manière dont on l'apprend.
Chapitre 2
Le savoir scientifique
Nous pensons connaître scientifiquement chaque chose au sens absolu, et non pas [10] à la manière sophistique par accident, lorsque nous pensons connaître la cause du fait de laquelle la chose est, savoir que c'est bien la cause de la chose et que cette chose ne peut pas être autrement qu'elle n'est. Il est donc clair que le savoir scientifique est quelque chose de cette sorte ; en effet aussi bien ceux qui ne possèdent pas ce savoir que ceux qui le possèdent le montrent, les uns en pensant être dans une telle condition, et ceux qui possèdent ce savoir [15] en y étant effectivement, de sorte que ce dont il y a science au sens absolu, il est impossible qu'il soit autrement qu'il n'est.
S'il existe un autre genre du savoir scientifique, nous le dirons plus tard, mais nous disons aussi que connaître scientifiquement c'est savoir par démonstration. J'appelle « démonstration » un syllogisme scientifique, et j'appelle « scientifique » un syllogisme dont la possession fait que nous avons un savoir scientifique.
Les prémisses de la démonstration
Si, donc, le [20] savoir scientifique est bien ce que nous avons posé, il est nécessaire aussi que la science démonstrative procède de choses vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures à elle et causes de la conclusion. De cette manière1, en effet, on aura aussi les principes appropriés à ce qui est prouvé. En effet, un syllogisme sera aussi possible sans ces propriétés, mais ce ne sera pas une démonstration, car il ne [25] produira pas de science.
Les prémisses doivent être vraies, parce qu'il n'est pas possible d'avoir un savoir scientifique de ce qui n'est pas, par exemple que la diagonale est commensurable. <La démonstration doit procéder de prémisses> premières et indémontrables, parce que autrement on n'aura pas la science si l'on n'a pas de démonstration des prémisses ; car avoir un savoir scientifique de ce dont il y a démonstration non accidentelle, c'est en posséder la démonstration. Elles doivent être causes de la conclusion, mieux connues qu'elle [30] et lui être antérieures, causes parce que nous avons un savoir scientifique de quelque chose seulement quand nous en savons la cause, antérieures puisqu'elles sont causes, et déjà connues non seulement en étant saisies au second sens, mais aussi par le fait qu'on sait qu'elles sont. Par ailleurs, « antérieur » et « mieux connu » ont deux sens. En effet, ce n'est pas la même chose que « antérieur par nature » et « antérieur pour nous », [72a] ni que « mieux connu » et « mieux connu pour nous ». J'appelle « antérieur » et « mieux connu pour nous » ce qui est plus proche de la perception, alors que ce qui est antérieur et mieux connu absolument en est plus éloigné. Or ce qui est le plus universel en est le plus éloigné, alors que les particuliers en sont le plus proche [5] ; et ce sont des choses opposées entre elles. « De prémisses premières » c'est-à-dire de principes appropriés, car j'affirme que c'est la même chose qu'une prémisse première et un principe.
Un principe d'une démonstration est une proposition immédiate, et est immédiate celle à laquelle aucune autre n'est antérieure. Une proposition est l'une des deux sortes d'une énonciation, une seule chose étant dite d'une seule autre ; est dialectique celle [10] qui admet de la même manière n'importe laquelle des deux, démonstrative celle qui admet de manière déterminée l'une des deux parce qu'elle est vraie. Une énonciation est n'importe quelle partie d'une contradiction, une contradiction est une opposition qui n'a par soi aucun intermédiaire ; la partie d'une contradiction qui dit quelque chose de quelque chose est une affirmation, celle qui nie quelque chose de quelque chose est une négation.
D'un principe [15] immédiat d'un syllogisme je dis que c'est une thèse quand il n'est pas possible de le prouver, et qu'il n'est pas nécessaire que celui qui va apprendre quelque chose2 le possède. Par contre celui dont il est nécessaire que celui qui va apprendre quoi que ce soit le possède, je l'appelle axiome ; car il existe des choses de ce genre, et c'est, en effet, principalement aux choses de ce genre que nous avons coutume de donner ce nom. De la thèse, une espèce est celle qui admet n'importe laquelle des sortes de l'énonciation, [20] je veux dire par exemple que quelque chose est ou que quelque chose n'est pas, et c'est une hypothèse ; une autre espèce, sans cela, est une définition. En effet, la définition est une thèse, car l'arithméticien pose que l'unité c'est l'indivisible du point de vue de la quantité ; or ce n'est pas une hypothèse. En effet, ce qu'est une unité et qu'elle est, ce n'est pas la même chose.
[25] Mais puisqu'il faut à la fois être convaincu de la chose et la connaître par le fait de posséder un syllogisme du genre que nous appelons démonstration – et que ce syllogisme est tel du fait que ce sont ces choses dont il procède –, il est nécessaire non seulement de connaître à l'avance les prémisses premières, toutes ou certaines d'entre elles, mais aussi de les connaître mieux que les conclusions. Toujours, en effet, ce à cause de quoi une chose appartient à un sujet, appartient plus au sujet que celle-ci, [30] par exemple ce à cause de quoi nous aimons, cela est plus aimé que l'objet aimé. De sorte que si nous connaissons quelque chose et en sommes convaincus par des prémisses premières, nous les connaissons mieux et en sommes mieux convaincus, parce que c'est à cause d'elles que nous connaissons aussi les choses qui suivent et en sommes convaincus.
Il n'est pas possible d'être convaincu, plutôt que par des choses que l'on connaît, par des choses dont il se trouve que ni on les connaît, ni on est mieux disposé par rapport à elles que s'il se trouvait qu'on les connût3. Mais c'est ce qui arriverait [35] si aucun de ceux qui sont convaincus par démonstration n'avait de connaissance préalable. En effet, il est nécessaire d'être plus convaincu par les principes, par tous ou par certains d'entre eux, que par la conclusion.
Mais il faut que celui qui va avoir la science par démonstration non seulement connaisse mieux les principes que ce qui est prouvé et en soit plus convaincu, [72b] mais aussi que rien ne doit être plus convaincant ou mieux connu pour lui parmi les propositions opposées aux principes, à partir desquelles il y aurait un syllogisme donnant une conclusion opposée fausse4, puisqu'il faut que celui qui connaît scientifiquement au sens absolu soit inébranlable.
Chapitre 3
Réfutation de la régression à l'infini et de la démonstration circulaire
[5] Certains, donc, du fait qu'il faut connaître scientifiquement les prémisses premières, sont d'avis qu'il n'y a pas de science, certains autres sont d'avis qu'il y en a une, mais qu'il y a démonstration de toutes choses. Aucune de ces positions n'est ni vraie ni nécessaire.
En effet, ceux-là1, supposant qu'il n'est pas possible de connaître autrement <que par démonstration>, estiment qu'on est conduit à l'infini sous prétexte qu'il n'est pas possible que nous connaissions scientifiquement les choses postérieures à cause des [10] antérieures parmi lesquelles il n'y aurait pas de prémisses premières, et en cela ils ont raison. Il est en effet impossible de traverser l'infini. Si l'on s'arrête et qu'il y a des principes, ils estiment qu'ils sont inconnaissables du fait qu'il n'y en a pas de démonstration, laquelle est, selon eux, la seule forme de savoir. Mais si il n'est pas possible de connaître les prémisses premières, il n'est pas possible non plus de connaître absolument et au sens propre ce qui en découle, mais on le connaît [15] hypothétiquement en supposant que ces prémisses sont vraies.
Les autres2 sont d'accord avec les premiers en ce qui concerne le savoir scientifique : il procède seulement par démonstration, mais, disent-ils, rien n'empêche qu'il y ait démonstration de toutes choses, car il est possible qu'il y ait démonstration circulaire, c'est-à-dire réciproque.
Quant à nous, nous disons que toute science n'est pas démonstrative, mais au contraire que celle des immédiats ne les [20] démontre pas (et que cela soit nécessaire, c'est manifeste. Car s'il est nécessaire de connaître les antérieurs, c'est-à-dire ce d'où part la démonstration, et si on s'arrête à un moment, on a les immédiats, et il est nécessaire qu'ils soient indémontrés). C'est là ce que nous disons et nous disons qu'il y a non seulement science, mais aussi un principe de science, par lequel nous connaissons les termes <ultimes>.
[25] Et qu'il soit impossible de démontrer, au sens absolu, en cercle, c'est clair s'il est vrai qu'il faille que la démonstration se fasse à partir de choses antérieures et mieux connues. Car il est impossible que les mêmes choses soient à la fois antérieures et postérieures aux mêmes choses, sinon de manière différente, à savoir en considérant les unes par rapport à nous, les autres absolument, manière précisément dont l'induction nous fait [30] connaître quelque chose. Mais s'il en est ainsi, le savoir au sens absolu n'aurait pas été correctement défini, mais sa définition serait double. Mais ne serait-ce pas plutôt que l'autre démonstration, celle qui se produit à partir de ce qui est plus connu pour nous, n'est pas démonstration au sens absolu ?
Ceux qui disent qu'il y a démonstration en cercle se trouvent conduits non seulement à ce que nous venons de dire, mais aussi à ne rien dire d'autre que « une chose est si elle est ». Mais, de cette façon, il est [35] facile de tout prouver. Or il est clair que c'est ce qui arrive si l'on prend trois termes (en effet, cela ne fait aucune différence de dire que l'on revient sur ses pas à travers beaucoup ou peu de termes, à travers peu ou deux). En effet, quand on a : si A alors nécessairement B, et si B alors C, alors si on a A on aura C. Si donc si A alors nécessairement B, et si B [73a] alors A (car c'est cela le raisonnement circulaire), disons que A est C. Le fait donc de dire que si B alors A, c'est dire que <si B> alors C, ce qui fait que si A alors C. Or C est la même chose que A. De sorte que ceux qui affirment qu'il existe une démonstration circulaire se trouvent ne rien dire [5] d'autre que si A alors A. Or de cette façon il est facile de tout prouver.
Mais cela n'est même possible que dans les cas de toutes les choses qui se suivent mutuellement comme le font les propres3. On a prouvé que si on pose une seule chose, il n'est jamais nécessaire que quelque chose de différent soit le cas (par une seule chose je veux dire qu'on pose soit un terme unique, soit une thèse unique), [10] alors qu'à partir de deux thèses premières au minimum, c'est possible, puisque c'est ce qui rend possible aussi de faire un syllogisme. Si donc A suit de B et de C, et que ceux-ci suivent l'un de l'autre, et aussi de A, il est aussi possible de prouver par réciprocation tout ce qui est demandé, dans la première figure, comme on l'a montré dans le traité du syllogisme. [15] On a aussi montré que dans les autres figures soit il n'y a pas de syllogisme, soit il ne concerne pas les prémisses qu'on a prises.
Mais dans le cas où il n'y a pas attribution réciproque, il n'est pas possible de prouver circulairement, de sorte que puisque les cas d'attribution réciproque sont rares, il est manifeste qu'il est à la fois vain et impossible de dire qu'il y a démonstration réciproque, et de ce fait qu'il est impossible de dire [20] qu'il puisse y avoir démonstration de toutes choses.
Chapitre 4
Mais puisqu'il est impossible que soit autrement ce dont il y a science de manière absolue, l'objet de la science démonstrative sera nécessaire. Or est démonstrative la science que nous possédons par le fait de posséder une démonstration. Donc la démonstration est un syllogisme partant de prémisses nécessaires. Il faut donc déterminer [25] à partir de quelle sorte de choses il y a des démonstrations. Mais définissons d'abord ce que nous voulons dire par le « de tout », le « par soi » et l'universel.
Définition de l'expression « de tout »
Par « de tout » je veux dire ce qui ne s'applique pas à un cas sans s'appliquer à un autre, ni à un moment et pas à un autre, par exemple [30] si animal est dit de tout homme, et s'il est vrai de dire que ceci est un homme, il est vrai de dire aussi que c'est un animal, et s'il est le premier à tel instant, il est aussi le second, et s'il est vrai de dire que dans toute ligne il y a un point, il en va de même. En voici un signe : en effet quand nous sommes questionnés suivant le « de tout » c'est ainsi que nous soulevons des objections : si dans un cas, ou si à un moment l'attribution n'a pas lieu.
Définition du « par soi »
Est dit appartenir « par soi » à une chose tout ce qui lui appartient [35] comme élément de son « ce que c'est », par exemple la ligne appartient par soi au triangle, et le point à la ligne (en effet l'essence des seconds est constituée des premiers, et les premiers sont contenus dans l'énoncé qui dit ce que sont les seconds). On parle aussi d'appartenance « par soi » dans tous les cas où des choses appartiennent à d'autres, lesquelles sont contenues dans la formule qui montre ce que sont les premières, par exemple le rectiligne et le courbe appartiennent par soi à la ligne, et l'impair et [40] le pair, le premier et le divisible, le carré [73b] et l'oblong appartiennent par soi au nombre. Et toutes ces choses contiennent dans la formule qui dit ce qu'elles sont, les unes « ligne », les autres « nombre ». De la même manière aussi dans les autres cas, je dis que les choses de cette sorte appartiennent par soi à chacun des sujets, mais toutes celles qui n'appartiennent à d'autres d'aucune de ces deux manières, je les appelle des accidents, [5] par exemple le cultivé ou le blanc pour l'animal.
De plus j'appelle « par soi » ce qui n'est pas dit d'un autre substrat, par exemple « le marchant » est « marchant » en étant quelque chose d'autre, et de même pour le blanc, par contre la substance, c'est-à-dire tout ce qui signifie un ceci, n'est pas ce qu'elle est en vertu du fait d'être quelque chose d'autre. J'appelle donc « par soi » les choses qui ne sont pas dites d'un substrat, et « accidents » celles qui sont dites d'un substrat.
[10] De plus, d'une autre façon, appartient par soi à chaque chose ce qui lui appartient du fait de soi, ce qui ne lui appartient pas du fait de soi est par accident, par exemple si la foudre a touché un promeneur, c'est un accident. Car la foudre n'a pas frappé à cause de la promenade, mais, disons-nous, c'est arrivé. Mais si c'est du fait de soi-même, c'est par soi, par exemple si un être meurt égorgé, alors sa mort est liée par soi à [15] l'égorgement, parce qu'il meurt du fait qu'il est égorgé et non parce que sa mort coïncide avec le fait d'être égorgé.
Donc à propos des objets de science au sens absolu, ceux qui sont dits « par soi » de telle sorte qu'ils soient contenus dans les sujets dont ils sont prédiqués, ou que ces sujets les contiennent sont à la fois du fait d'eux-mêmes et par nécessité. En effet, il n'est pas possible qu'ils n'appartiennent pas à leurs sujets soit simplement soit sous la forme opposée, par exemple [20] le rectiligne et le courbe appartiennent à la ligne, et au nombre l'impair et le pair. En effet, le contraire est soit privation soit contradiction dans le même genre, par exemple le pair est le non-impair dans les nombres, dans la mesure où celui-là suit celui-ci. De sorte que, s'il est nécessaire d'affirmer ou de nier un attribut d'un sujet, il est aussi nécessaire que les attributs par soi appartiennent à leur sujet.
Définition de l'universel
[25] Ainsi donc voilà définis « de tout » et « par soi ». J'appelle « universel » tout ce qui est attribut de tout le sujet, par soi et en tant que soi. Il est donc manifeste que tout ce qui est universel appartient nécessairement aux choses auxquelles il appartient. Or le par soi et le en tant que soi c'est la même chose, par exemple un point ou le rectiligne [30] appartiennent à la ligne par soi (car ils lui appartiennent en tant que ligne), et au triangle en tant que triangle appartient le fait d'avoir ses angles égaux à deux angles droits (car c'est par soi que le triangle a ses angles égaux à deux angles droits).
Quelque chose appartient universellement, chaque fois qu'il est prouvé d'un sujet quelconque et premier. Par exemple le fait d'avoir ses angles égaux à deux droits n'appartient pas universellement à la figure. Certes, il est possible de prouver [35] à propos d'une figure qu'elle a ses angles égaux à deux droits, mais pas pour n'importe quelle figure, et celui qui le montre ne se sert pas non plus de n'importe quelle figure ; car un carré est bien une figure, mais il n'a pas ses angles égaux à deux droits. Par ailleurs un isocèle quelconque a ses angles égaux à deux droits, mais pas à titre premier : le triangle est antérieur. Ainsi, la réalité quelconque [40] première dont on prouve qu'elle a ses angles égaux à deux droits, ou n'importe quelle autre propriété, c'est à cela à titre premier que l'attribut [74a] appartient universellement, et la démonstration de cela est par soi universelle, alors que la démonstration concernant les autres sujets ne l'est que d'une certaine manière, pas par soi, pas plus que la démonstration que l'isocèle a ses angles égaux à deux droits n'est par soi universelle, mais elle l'est pour un sujet plus étendu.
Chapitre 5
Trois erreurs sur la démonstration universelle
Mais il ne faut pas se dissimuler que souvent il arrive qu'on se trompe [5] en ce sens que ce qui est prouvé n'appartient pas à titre premier universellement au sujet, à la manière dont il nous semble qu'il est prouvé universellement à titre premier. Nous commettons cette erreur, soit quand on ne peut rien prendre de plus haut en dehors du particulier ou des cas particuliers ; soit quand une telle classe existe, mais qu'elle n'a pas de nom, s'appliquant à des choses qui diffèrent par la forme ; soit quand le tout à propos duquel nous prouvons se trouve être pris de façon partielle [10] (car la démonstration portera sur les objets partiels, et elle concernera tous les cas, mais elle ne sera pourtant pas la démonstration universelle de ce genre premier. Je dis qu'une démonstration est celle de ce genre premier en tant que tel, quand elle est démonstration universelle de ce genre en tant que premier).
Ainsi, si on prouvait que des perpendiculaires à une droite ne se coupent pas, on pourrait penser qu'on a la démonstration de cela parce qu'elle [15] s'applique à toutes les perpendiculaires, mais il n'en est pas ainsi, puisque ce n'est pas parce que les angles sont égaux de cette manière que cela se passe, mais dans la mesure où ils sont égaux de n'importe quelle manière.
Et s'il n'existait pas d'autre triangle que l'isocèle, c'est en tant qu'isocèle qu'on penserait que <la propriété d'avoir ses angles égaux à deux droits> lui appartient.
Quant à la proportion, qu'elle soit convertible en ce qui concerne les nombres, les lignes, les volumes ou les temps, comme on l'a déjà prouvé à part pour chacune de ces réalités, assurément il est [20] possible de le montrer par une démonstration unique à propos de toutes. Mais du fait que toutes ces réalités – nombres, longueurs, temps, volumes – n'ont pas reçu un nom unique, mais qu'elles diffèrent les unes des autres par la forme, on les a prises séparément. Mais à présent1 on le montre universellement. En effet, ce qui est supposé appartenir universellement à l'objet, ne lui appartient plus en tant que lignes ou que nombres, mais en tant que « ceci ».
Ce qu'est connaître universellement
[25] C'est pourquoi, même si l'on prouvait pour chaque triangle, par une démonstration unique2 ou par une démonstration différente pour chacun, que chacun a ses angles égaux à deux droits, l'équilatéral, le scalène et l'isocèle à part, on ne saurait pas encore que le triangle a la somme de ses angles égale à deux droits, sinon d'une manière sophistique, ni que cela s'applique au triangle universellement, même s'il n'existe aucun autre triangle [30] en dehors de ceux-ci. Car on ne le sait pas en tant que c'est un triangle, ni de tout triangle, sinon numériquement ; mais selon la forme on ne le sait pas de tout triangle, même s'il n'y en avait aucun que l'on ne connût pas3.
Quand donc ne connaît-on pas universellement, et quand connaît-on absolument ? Il est clair que l'on connaîtrait absolument <qu'avoir ses angles égaux à deux droits appartient à l'équilatéral> si c'était la même chose d'être un triangle et d'être équilatéral, ou d'être chacune des sortes de triangle, ou toutes. Mais s'ils ne sont pas une seule même chose mais des choses différentes, [35] et que la propriété appartienne à l'équilatéral en tant que triangle, nous ne la connaissons pas. Lui appartient-elle en tant que triangle ou en tant qu'isocèle ? et quand lui appartient-elle à titre premier ? et à quoi la démonstration s'applique-t-elle universellement ? Il est clair que la propriété appartient à un terme premier quand les autres ont été enlevés. Par exemple avoir ses angles égaux à deux droits appartiendra au triangle isocèle de bronze, mais cela est vrai même quand le fait d'être de bronze [74b] et celui d'être isocèle ont été enlevés ; par contre pas quand la figure ou son périmètre ont été enlevés. Mais ils ne sont pas premiers. Qu'est-ce qui est donc premier ? Si c'est « triangle », c'est en vertu de cela que la propriété appartient aussi aux autres, et c'est à cela que la démonstration s'applique universellement.
Chapitre 6
Les prémisses scientifiques sont par soi
[5] Si donc la science démonstrative part de principes nécessaires (car ce qu'on connaît scientifiquement ne peut pas être autre qu'il est), et si les attributs par soi des choses sont nécessaires (car les uns appartiennent au « ce que c'est » du sujet, pour les autres ce dont ils sont prédiqués appartient à leur « ce que c'est », et pour ceux-ci l'un des opposés [10] appartient nécessairement au sujet), il est manifeste que c'est à partir de certaines choses de ce genre que se fera le syllogisme démonstratif. En effet, tout appartient à un sujet soit de cette manière soit par accident, et les accidents ne sont pas nécessaires.
C'est donc ainsi qu'il faut s'exprimer, ou poser comme principe que la démonstration est nécessaire, c'est-à-dire que si quelque chose a été démontré, il n'est pas susceptible d'être autre qu'il [15] est. Il faut donc que le syllogisme démonstratif procède de prémisses nécessaires. En effet, il est possible de syllogiser à partir de prémisses vraies sans démontrer, mais à partir de prémisses nécessaires il n'est pas possible de le faire sans démontrer. Car c'est justement là un trait de la démonstration.
Un signe que la démonstration se fait à partir de prémisses nécessaires c'est que les objections que nous portons contre ceux qui pensent démontrer [20] consistent à dire qu'il n'y a pas de nécessité dans leurs prémisses, si nous pensons que, soit en général soit pour les besoins de l'argument, il peut en aller autrement.
Il est clair aussi à partir de cela qu'il faut être simple d'esprit pour penser qu'on prend les principes correctement si les prémisses sont des opinions valables fussent-elles vraies, par exemple les sophistes qui prennent comme principe que savoir c'est avoir la science1. Car l'opinion valable ou non n'est pas un principe, [25] mais ce qui l'est c'est le terme premier du genre à propos duquel on démontre. Et toute prémisse vraie n'est pas appropriée.
Qu'il faille que le syllogisme procède de prémisses nécessaires, c'est manifeste aussi à partir de ce qui suit. En effet, si, alors qu'il y a une démonstration, on ne peut rendre compte de la cause, on n'a pas la science : si l'on avait A appartenant nécessairement à C, mais B, le moyen terme par lequel [30] la démonstration s'est faite n'appartenant pas nécessairement aux autres termes, on ne connaîtrait pas le pourquoi. En effet, la conclusion ne serait pas vraie du fait du moyen terme, car il serait possible que celui-ci ne soit pas <attribué aux autres termes>, alors que la conclusion est nécessaire.
De plus, si on ne connaît pas maintenant une chose alors qu'on en possède la raison et qu'on continue d'être, la chose continuant d'être, et qu'on ne l'a pas oubliée, c'est qu'on ne la connaissait pas auparavant. Mais le moyen terme peut avoir péri, s'il n'est pas [35] nécessaire, de sorte qu'on possédera la raison de la chose en continuant d'être, la chose continuant d'être, et pourtant on ne connaît pas. Donc on ne connaissait pas non plus la chose auparavant. Et même si le moyen terme n'a pas péri, mais qu'il est possible qu'il périsse, cette conséquence sera possible et pourra être. Mais il est impossible que, dans ces conditions, on possède le savoir.
[75a] Quand donc la conclusion est nécessaire, rien n'empêche que le moyen terme par lequel on prouve ne soit pas nécessaire (il est possible, en effet, de déduire le nécessaire même de prémisses non nécessaires, comme on déduit aussi le vrai de prémisses non vraies). Mais quand le moyen terme est nécessaire, [5] la conclusion elle aussi est nécessaire, comme de prémisses vraies vient toujours du vrai (soit en effet A dit nécessairement de B, et celui-ci de C ; il est alors nécessaire aussi que A appartienne à C). Quand la conclusion n'est pas nécessaire, le moyen terme lui non plus ne peut pas être nécessaire (soit en effet A n'appartenant pas nécessairement [10] à C, alors qu'il appartient nécessairement à B, et que celui-ci appartient nécessairement à C ; donc A appartiendra nécessairement à C, alors que ce n'était pas le cas par hypothèse).
Ainsi, puisque, si l'on connaît quelque chose de manière démonstrative, il faut que cela appartienne nécessairement à un sujet, il est clair qu'il faut aussi que la démonstration ait lieu par un moyen terme nécessaire. Autrement, on ne connaîtra scientifiquement ni la raison pour laquelle la chose est nécessairement, ni le fait qu'elle l'est, [15] mais soit on croira qu'on le sait alors qu'on ne le sait pas (si on prend comme nécessaire ce qui n'est pas nécessaire), soit on ne le croira même pas (aussi bien si l'on sait que la chose est par l'intermédiaire de moyens termes, que si l'on en sait le pourquoi par l'intermédiaire de propositions immédiates).
Il n'y a démonstration que des attributions par soi
et non des attributions accidentelles
Des accidents qui ne sont pas par soi – au sens où « par soi » a été défini –, il n'y a pas de science démonstrative. En effet, il n'est pas [20] possible de prouver nécessairement la conclusion ; car l'accident peut ne pas appartenir à son sujet (c'est, en effet, d'un accident de ce genre que je parle). À vrai dire on pourrait peut-être se demander dans quel but il faut s'interroger sur cela, si la conclusion n'est pas nécessaire. Car cela ne ferait aucune différence si, après avoir posé n'importe quelle question, on affirmait la [25] conclusion. Mais il faut poser des questions non pas parce que ce qui découle des points demandés sera nécessaire, mais parce qu'il est nécessaire pour quiconque affirme les prémisses d'affirmer la conclusion, et de l'affirmer avec vérité si elles sont vraies.
Mais puisque dans chaque genre appartiennent nécessairement au sujet tous les attributs qui lui appartiennent par soi et en tant que chaque genre est tel, il est manifeste que [30] les démonstrations scientifiques concernent ces attributs par soi et partent de prémisses de cette sorte. En effet, les accidents ne sont pas nécessaires, de sorte qu'on ne saurait pas pourquoi il est nécessaire que la conclusion soit vraie, même si l'attribution se fait toujours, mais pas par soi, par exemple pour les syllogismes par signes. En effet, on ne connaîtra pas comme étant par soi ce qui est par soi, ni le pourquoi [35] (savoir le pourquoi c'est savoir par la cause). Donc le moyen terme doit appartenir de soi au troisième terme et le premier doit appartenir de soi au moyen terme.
Chapitre 7
La démonstration reste dans un même genre
Il n'est donc pas possible de prouver en venant d'un autre genre, par exemple ce qui est géométrique par l'arithmétique. Car il y a trois choses dans les [40] démonstrations : l'une est ce qui est démontré, la conclusion (c'est-à-dire ce qui appartient par soi à un certain genre), une autre les axiomes (les axiomes étant ce d'où part la démonstration), la troisième le genre sous-jacent [75b], dont la démonstration met en évidence les propriétés et plus précisément les accidents par soi.
Les axiomes d'où part la démonstration peuvent assurément être les mêmes, mais dans le cas de ce dont le genre est différent, comme c'est le cas pour l'arithmétique et la géométrie, il n'est pas possible d'appliquer la démonstration arithmétique aux [5] propriétés des grandeurs, à moins que les grandeurs ne soient des nombres. En quel sens cela est possible dans certains cas, on le dira plus tard.
La démonstration arithmétique a toujours pour genre celui à propos duquel la démonstration a lieu, et il en est de même pour les autres démonstrations. De sorte qu'il est nécessaire que le genre soit le même, soit absolument, soit d'une certaine façon, si la démonstration doit passer d'une science à l'autre. [10] Et que ce soit impossible autrement, c'est clair. C'est en effet du même genre que viennent les extrêmes et les moyens termes, car s'ils ne sont pas des attributions par soi ils seront des attributions par accident.
C'est pourquoi il n'est pas possible de prouver par la géométrie qu'il y a une science unique des contraires, ni même que deux cubes font un cube. Il n'est pas possible non plus de démontrer ce qui relève d'une science par une autre science, à moins [15] qu'elles soient dans une relation telle que l'une soit subordonnée à l'autre, comme l'optique l'est par rapport à la géométrie et l'harmonique par rapport à l'arithmétique. On ne peut pas non plus démontrer par la géométrie une propriété qui appartient aux lignes, mais pas en tant que lignes ni en tant que venant de principes appropriés, par exemple si la droite est la plus belle des lignes, ou si elle est contraire à la courbe ; car cela leur appartient non pas en vertu [20] de leur propre genre, mais en vertu de quelque chose de plus large.
Chapitre 8
La démonstration porte sur des choses éternelles
Il est manifeste aussi que, si les prémisses à partir desquelles se fait le syllogisme sont universelles, il est nécessaire que la conclusion d'une telle démonstration – c'est-à-dire la démonstration prise au sens absolu – soit éternelle. De ce qui est périssable il n'y a donc pas de démonstration ni de science [25] au sens absolu, mais en quelque sorte par accident, parce que le prédicat n'est pas attribué au sujet universellement mais à certains moments et d'une certaine manière. Quand c'est le cas, il est nécessaire que l'une des prémisses soit non universelle et périssable – périssable parce que si elle l'est la conclusion le sera aussi, non universelle parce que tel de ses prédicats sera le cas et tel autre non –, de sorte qu'on n'a pas un [30] syllogisme prouvant quelque chose universellement, mais que quelque chose est le cas à un moment donné.
Il en va aussi de même des définitions, puisqu'une définition est soit le principe d'une démonstration, soit une démonstration différant par la position, soit une sorte de conclusion d'une démonstration.
Quant aux démonstrations et aux sciences se rapportant aux choses qui se produisent souvent, par exemple l'éclipse de Lune, il est clair que, en tant qu'elles concernent un objet de ce type, elles existent toujours, [35] mais, en tant que leurs objets n'existent pas toujours, elles sont particulières. Et il en va des autres cas comme de celui de l'éclipse.
Chapitre 9
Les principes doivent être appropriés
Puisqu'il est manifeste qu'il n'est pas possible que chaque chose soit démontrée sinon à partir des principes de cette chose, si ce qui est démontré lui appartient en tant que telle, le savoir scientifique ne consiste pas à prouver à partir de prémisses seulement vraies, indémontrables [40] et immédiates. Car dans ces conditions il serait possible de prouver à la manière dont Bryson prouvait la quadrature du cercle. En effet, les raisonnements de ce genre prouvent selon quelque chose de commun qui appartiendra en outre à quelque chose d'autre ; c'est pourquoi [76a] les raisonnements en question s'appliquent aussi à d'autres objets qui ne sont pas de même genre. Donc on connaît la chose non pas en tant que telle, mais on la connaît par accident, sinon, en effet, la démonstration ne pourrait pas s'appliquer à un autre genre.
Nous avons un savoir de chaque chose qui n'est pas accidentel quand [5] nous la connaissons du fait du moyen terme en vertu duquel l'attribution a lieu, à partir des principes qui sont ceux de la conclusion, par exemple le fait d'avoir la somme de ses angles égale à deux droits, <nous avons un savoir non accidentel du fait que cette propriété appartient à un sujet si nous savons> à quel sujet ladite propriété appartient par soi, à partir des principes de ce sujet. De sorte que si cette propriété appartient par soi à ce à quoi elle appartient, il est nécessaire que le moyen terme soit dans le même genre que la propriété et le sujet. Si ce n'est pas le cas, mais que c'est comme [10] les propositions de l'harmonique démontrées par l'arithmétique, en fait ces propositions sont prouvées de la même manière, avec pourtant une différence. Le fait, en effet, est l'objet de la première science (car le genre sous-jacent est différent), alors que le pourquoi est l'objet de la science supérieure, de laquelle les propriétés relèvent par soi. De sorte qu'à partir de cela aussi il est manifeste qu'il n'est pas possible de démontrer au sens absolu chaque chose sinon à partir des [15] principes de la chose. Mais les principes de ces sciences ont quelque chose de commun.
Les principes propres sont indémontrables
Mais, si cela est manifeste, il est aussi manifeste qu'il n'est pas possible de démontrer les principes propres de chaque chose, car les autres principes seraient principes de toutes choses, et la science de ces principes serait éminemment science de toutes choses. En effet, celui qui connaît à partir des causes supérieures sait mieux ; car on [20] connaît à partir de choses antérieures quand on connaît à partir de causes non causées. De sorte que si l'on connaît mieux ou même parfaitement, cette science elle aussi sera meilleure ou même parfaite. Mais la démonstration ne s'applique pas à un autre genre, si ce n'est, comme on l'a dit, les démonstrations géométriques aux propriétés mécaniques ou optiques, et les démonstrations arithmétiques aux propriétés [25] harmoniques.
Il est difficile de savoir si l'on connaît ou pas, car il est difficile de savoir si l'on connaît à partir des principes de chaque chose ou non, ce qui est proprement savoir. Mais nous pensons que si nous possédons un syllogisme avec des prémisses vraies et premières nous avons un savoir scientifique. Or ce n'est pas le cas, mais [30] il faut que les conclusions soient de même genre que les prémisses.
Chapitre 10
Les principes dans chaque genre
J'appelle « principes » dans chaque genre ceux dont on ne peut pas prouver qu'ils sont le cas. Ce que, donc, signifient aussi bien les notions premières que celles qui en viennent, on l'admet, mais qu'ils sont, pour les principes il est nécessaire de l'admettre, et pour les autres de les prouver. Par exemple ce que signifie l'unité, [35] ou ce que signifient le droit ou le triangle il est nécessaire de l'admettre, d'admettre que l'unité et la grandeur sont, et pour les autres choses de les prouver.
Des principes dont on se sert dans les sciences démonstratives les uns sont propres à chaque science, les autres sont communs, mais communs par analogie, puisque, en fait, on s'en sert dans la mesure où ils fonctionnent dans le genre qui tombe sous la science considérée. [40] Sont des principes propres, par exemple que « une ligne soit telle » et que « le droit soit tel », alors que sont des principes communs par exemple « si l'on retranche des choses égales de choses égales, les restes sont égaux ». Mais chacun de ceux-ci convient dans la mesure où il fonctionne dans le genre. En effet, il produira le même résultat [76b] même si on ne le prend pas comme s'appliquant à tout, mais seulement aux grandeurs, ou, pour l'arithméticien, aux nombres.
Sont aussi principes propres des choses dont on admet qu'elles sont et dont la science considère les attributs par soi, par exemple l'arithmétique admet l'existence des unités, [5] la géométrie celle des points et des lignes. Ces choses, en effet, on admet à la fois qu'elles sont et qu'elles sont telles. Par contre, leurs propriétés par soi, on admet ce que chacune d'entre elles signifie, par exemple l'arithmétique admet ce que signifie le pair, l'impair, le carré ou le cube, ou la géométrie l'irrationnel, la ligne brisée ou la ligne oblique ; par contre, qu'ils [10] sont, on le prouve à travers les notions communes et à partir de ce qui a déjà été démontré. Et l'astronomie fait de même.
Les trois éléments de la science démonstrative
Toute science démonstrative, en effet, tourne autour de trois choses : les choses dont on pose qu'elles sont (elles constituent le genre dont la science examine les propriétés qui sont par soi), ce qu'on appelle les axiomes communs, notions premières à partir desquelles on démontre, [15] et, troisièmement, les propriétés, dont on admet ce que chacune signifie.
Rien n'empêche, néanmoins, que certaines sciences négligent certaines de ces composantes, par exemple en n'ayant pas à poser que le genre est s'il est manifeste qu'il est (car il n'est pas clair de la même manière que le nombre est et que le froid et le chaud sont), et en n'ayant pas à admettre ce que les propriétés signifient si elles sont claires. [20] De la même manière, dans le cas des notions communes, il n'y a pas non plus à admettre ce que signifie « retrancher des choses égales de choses égales », parce que c'est bien connu. Mais il n'empêche que, par nature, ces éléments sont trois : ce à propos de quoi l'on prouve, ce que l'on prouve, ce à partir de quoi l'on prouve.
Hypothèses, postulats, termes
Ce qui est nécessairement du fait de soi-même et qu'on doit nécessairement tenir pour vrai du fait de soi-même, n'est ni une hypothèse ni un postulat. En effet, la démonstration ne concerne pas le discours extérieur, [25] mais celui qui a lieu dans l'âme, puisque c'est la même chose pour le syllogisme. En effet, il est toujours possible de s'opposer au discours extérieur, mais pas toujours au discours intérieur. Ce que donc, bien qu'étant démontrable, on admet soi-même sans démonstration, cela si on l'admet alors que l'élève le tient pour vrai, on en fait l'hypothèse, et il ne s'agit pas d'une hypothèse au sens absolu, mais [30] seulement d'une hypothèse relative à l'élève. Si, par contre, on admet la même position lorsque l'élève ne possède aucune opinion ou même s'il possède une opinion contraire, on fait un postulat. Et c'est en cela que l'hypothèse et le postulat diffèrent ; en effet un postulat va contre l'opinion de l'élève, ou c'est ce qu'on admet et dont on se sert sans le démontrer alors qu'il est démontrable.
[35] Donc les termes ne sont pas des hypothèses (car ils ne disent pas que quelque chose est ou n'est pas ceci), mais les hypothèses font partie des prémisses, alors que les termes doivent seulement être saisis. Or cela n'est pas le cas d'une hypothèse (sauf à dire que même entendre quelque chose c'est en faire l'hypothèse), mais pour les hypothèses, quand elles sont le cas, par ce fait même, les conclusions se trouvent être le cas.
Le géomètre ne prend pas des [40] hypothèses fausses, comme certains l'ont prétendu, disant qu'il ne faut pas se servir du faux, et que pourtant le géomètre dit faux en disant qu'une ligne a un pied de longueur, alors qu'elle n'a pas un pied de longueur, ou que la ligne tracée est droite alors qu'elle n'est pas droite. [77a] Mais le géomètre ne tire aucune conclusion du fait que c'est cette ligne dont lui-même parle, mais il en tire de ce que ces figures rendent clair.
De plus, aussi bien tout postulat que toute hypothèse est soit universel soit particulier, alors que les termes ne sont ni l'un ni l'autre.
Chapitre 11
Nul besoin des Formes platoniciennes
[5] Il n'y a donc nulle nécessité à ce qu'il y ait de Formes autrement dit un Un à part du multiple pour qu'il y ait une démonstration ; il est vrai de dire, en revanche, qu'il est nécessaire qu'une chose appartient à plusieurs autres, car il n'y aurait pas d'universel si ce n'était pas le cas. Or si l'universel n'existe pas, il n'y aura pas de moyen terme, et, en conséquence, pas de démonstration non plus. Il faut donc qu'il y ait quelque chose d'un et d'identique qui appartienne à plusieurs choses de manière non homonyme.
Dans quelle mesure les principes communs s'appliquent
[10] Qu'il n'est pas possible d'affirmer et de nier en même temps, aucune démonstration ne l'admet1, à moins qu'il faille aussi prouver la conclusion de cette manière.
Mais on prouve en admettant qu'il est vrai d'affirmer le premier terme du moyen terme, mais que le nier n'est pas vrai. Mais il n'y a pas de différence si l'on admet que le moyen terme est et n'est pas, et de même pour [15] le troisième terme2. Car s'il était accordé une chose dont il est vrai de dire que c'est un homme et si c'était aussi vrai de dire que c'est un non-homme, si seulement, d'un autre côté, il est vrai de dire que l'homme est un animal et non un non-animal, il sera alors vrai de dire que Callias, même s'il est aussi non-Callias, sera néanmoins un animal et non un non-animal. Et la cause de cela c'est que le premier terme est dit non seulement du moyen terme, mais aussi d'un [20] autre du fait qu'il appartient à plusieurs choses, de sorte que, même si le moyen terme est à la fois une même chose et pas une même chose, cela ne fait aucune différence concernant la conclusion.
Le fait que tout est soit affirmé soit nié, la démonstration par l'absurde l'admet, et cela pas toujours de manière universelle, mais dans la mesure où c'est suffisant, or c'est suffisant quand cela s'applique au genre. Par « au genre », je veux dire [25] le genre sur lequel portent les démonstrations, comme on l'a déjà dit plus haut.
Toutes les sciences communiquent entre elles suivant les propositions communes (j'appelle « communes » celles dont on se sert comme points de départ des démonstrations, et non pas ce sur quoi la démonstration porte, ni ce qui est démontré), et la dialectique communique avec toutes les sciences, surtout si une <des formes de la dialectique> s'efforce de [30] prouver de manière universelle les propositions communes, comme « que tout est soit affirmé soit nié », ou que « des égaux retranchés d'égaux donnent des égaux », et certaines choses de ce genre. Mais la dialectique ne porte pas sur des choses déterminées de cette façon, et ne porte même pas sur un genre unique déterminé ; car alors elle ne serait pas interrogative. En effet, il n'est pas possible d'interroger quand on démontre parce que, des opposés étant donnés, on ne prouve pas la même chose à partir d'eux. On a montré cela dans le traité [35] sur le syllogisme.
Chapitre 12
Rôle scientifique de l'interrogation
Si, pourtant, c'est la même chose qu'une interrogation syllogistique et une prémisse consistant en l'un des membres d'une contradiction, et si, concernant chaque science, il y a des prémisses à partir desquelles le syllogisme qui concerne chaque science est produit, il y aura une certaine interrogation scientifique <utilisant les prémisses> à partir desquelles est produit le syllogisme propre concernant chacune des sciences. [40] Il est donc clair que toute interrogation ne sera pas géométrique ou médicale, et de même pour les autres sciences, mais seulement celle qui utilise les prémisses à partir [77b] desquelles on démontre l'une des choses sur lesquelles porte la géométrie ou celles que l'on démontre à partir des mêmes prémisses que la géométrie, comme les choses de l'optique. De même aussi dans les autres cas. Et concernant ces choses sur lesquelles porte la géométrie il faut aussi en rendre compte à partir des principes et conclusions géométriques, [5] mais concernant les principes, ce n'est pas au géomètre en tant que géomètre d'en rendre compte ; et il en est de même dans les autres sciences. Il ne faut donc ni poser à chaque savant toute question, ni que le savant décide de toute question qui lui est posée concernant chaque chose, mais seulement celles qui sont enfermées dans sa science.
Si on argumente de cette manière avec un géomètre en tant que géomètre, [10] il est manifeste aussi que cela est correct si l'on prouve quelque chose à partir de ces bases, et que si ce n'est pas le cas, ce n'est pas correct. Il est par ailleurs clair que dans ce dernier cas on ne réfute pas un géomètre, si ce n'est par accident ; de sorte que ce ne sera pas parmi les gens étrangers à la géométrie qu'il faut argumenter à propos de la géométrie. En effet, celui qui argumente de manière erronée passerait alors inaperçu. Et il en est aussi de même pour les autres [15] sciences.
Ignorance, erreur, paralogisme
Mais puisqu'il existe des questions géométriques, est-ce qu'il en existe aussi de non géométriques ? Et parallèlement pour chaque science, selon quelle sorte d'ignorance y a-t-il des questions géométriques ? Et le syllogisme qui se fait selon l'ignorance est-ce le syllogisme qui vient de prémisses [20] opposées au vrai, ou paralogisme, et qui est pourtant selon la géométrie, ou est-ce celui qui vient d'un autre art ? Par exemple l'interrogation musicale est non géométrique par rapport à la géométrie, alors qu'estimer que les parallèles sont sécantes est d'une certaine manière géométrique, et d'une autre manière non géométrique. Car cette expression, comme l'expression « non rythmique », se prend en deux sens : [25] quelque chose est non géométrique en un sens par le fait qu'il n'a rien de géométrique, en un autre sens par le fait qu'il l'a de manière erronée. Et c'est cette dernière ignorance, à savoir celle qui vient de tels principes qui est contraire à la science.
En mathématiques, le paralogisme n'est pas possible de la même manière, parce que c'est toujours le moyen qui est ambigu. En effet, un terme est affirmé de tout le moyen terme et celui-ci, à son tour, est affirmé [30] de tout l'autre terme (mais on n'applique pas « tout » au prédicat), or il est possible de voir cela par la pensée, alors que dans les discours on ne les décèle pas : « Est-ce que tout cercle est une figure ? », si on le trace c'est clair ; mais alors « les poèmes épiques sont-ils un cercle » ; il est manifeste que cela n'est pas le cas.
Il ne faut pas adresser une objection à un raisonnement si la prémisse que nous lui opposons est [35] inductive. En effet, puisqu'il n'y a pas de prémisse qui ne s'applique à plusieurs cas (car alors elle ne s'appliquerait pas à tous les cas, or le syllogisme vient de prémisses universelles), il est clair qu'il n'y a pas non plus d'objection de ce type. En effet, les mêmes propositions sont prémisses et objections, car celle qui est adressée comme une objection peut devenir une prémisse, soit démonstrative, soit dialectique.